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Actualités 2022 & 2023
Les attestations fournies par l’attributaire pressenti sont soumises à un contrôle minutieux du juge des référés.
TA Lille, ord. 17 novembre 2023, Sté Europe Services Propreté, n°2308582
Ces derniers mois, plusieurs décisions ont été rendues au sujet des attestations devant être fournies par l’attributaire pressenti.
La présente ordonnance confirme que le juge des référés opère, sur ces documents, un contrôle minutieux. En effet, un attributaire avait fourni des attestations mais un candidat évincé avait mis en avant le moyen selon lequel elles n’étaient pas complètes. Et le juge, à l’issue d’un contrôle normal, estime effectivement que les attestations fournies ne permettaient pas de justifier de la régularité fiscale de l’attributaire et que la procédure était donc entachée d’une irrégularité : « la commune fait valoir que ces attestations et certificats ont été fournis par la société Essi Ambre, et produit à cet effet certaines pièces. Au nombre de celles-ci, figure une attestation de régularité fiscale de la société, délivrée le 28 octobre 2022 par le service des impôts des entreprises Lille-Seclin. Cette attestation précise que, pour justifier de la régularité de sa situation fiscale, la société Essi Ambre doit joindre l’attestation justifiant du paiement de l’impôt sur les sociétés ou de la taxe sur la valeur ajoutée par sa société mère. Or, il ne résulte pas de l’instruction que cette attestation aurait été fournie par la société Essi Ambre. En outre, le modèle de « Candidature simplifiée – attestation et déclaration sur l’honneur », tel qu’établi par la commune, et devant être renseigné par les candidats, comporte une case à cocher par le candidat, valant déclaration sur l’honneur ne pas se trouver dans un cas d’exclusion. Or, il apparaît que cette case n’a pas été cochée dans le formulaire rempli par la société Essi Ambre et fourni par elle auprès de la commune. Ce formulaire ne peut ainsi être regardé comme la déclaration sur l’honneur exigée par l’article R.2143-6 et le règlement de la consultation. Dans ces conditions, la société Europe Services Propreté est fondée à soutenir que le marché a été attribué en méconnaissance des dispositions combinées des articles ci-dessus reproduits du code de la commande publique et du B de l’article 4.2.2 précité du règlement de la consultation ».
publié le 27 novembre 2023
L’abandon d’un critère en cours de route : une très mauvaise idée
TA Poitiers, ord. 13 novembre 2023, Sté Anjou TP, n°2302780
Les marchés passés par les très petites communes donnent lieu, plus souvent qu’ailleurs (faute de compétences) à des choses étonnantes. Ici, une commune de 289 habitants avait souhaité conclure un marché de travaux pour l’aménagement espaces publics dans le centre bourg.
Le RC prévoyait que les offres seraient jugées au regard du critère de la valeur technique, pondéré à 60%, et du prix des prestations pour 40%.
Le RAO établi sur cette base avait classé la société Roiffé Travaux Locations en deuxième position, mais cette dernière s’était toutefois vue désignée attributaire du marché. En effet, cette société avait fait l’offre la moins chère et était donc classé première sur le critère du prix (avec une moins bonne valeur technique donc). La commune a alors décidé d’abandonner le critère de la valeur technique pour ne tenir compte que du prix. Sanction logique et immédiate de la part du juge : « la commune ne pouvait en cours de procédure abandonner le critère de la valeur technique défini comme principal critère de jugement des offres par le règlement de consultation et ne retenir que le prix alors même que ce critère n’occupait pas une place prépondérante, dans le jugement des offres, compte tenu du coefficient de pondération qui lui était affecté. La commune a ainsi manqué aux obligations de publicité et de mise en concurrence qui lui incombaient. Un tel manquement, qui est de nature à léser la société Anjou Travaux Publics au stade de l’examen des offres, justifie l’annulation de la procédure d’attribution du marché à compter de l’analyse des offres, sans qu’il soit besoin de statuer sur le second moyen invoqué par la requérante ».
Si les marchés des très petites communes sont assez peu contestés, cette ordonnance montre néanmoins qu’un accompagnement est d’autant plus nécessaire pour ces acheteurs.
publié le 24 novembre 2023
Limitation du nombre de pages du mémoire technique : du grand n’importe quoi !
TA Poitiers, ord. 6 octobre 2023, Sté Philippe Vediaud Publicité, n°2302509
Depuis quelques mois, j’ai commenté sur ce site plusieurs ordonnances concernant la limitation du nombre de pages des mémoires techniques demandés aux candidats.
L’ordonnance rendue il y a quelques semaines par le TA de Poitiers vient alimenter le grand n’importe quoi qui existe sur ce sujet.
Dans cette affaire, le RC imposait la remise de 4 documents au titre du mémoire technique, avec un nombre de pages maximum. Mais il n’était pas précisé que les candidats ne pouvaient pas insérer plusieurs feuilles sur une même page, et un candidat avait divisé sa page en 4 pour y insérer 4 pages.
Logiquement, son offre a été rejetée, puisqu’elle ne pouvait pas être objectivement comparée aux autres (étant 4 fois plus importante).
Pourtant le juge des référés va annuler la procédure, au motif que le RC n’était pas assez précis sur ce point : « l’offre de la société Philippe Vediaud Publicité a été rejetée en ce qu’elle ne respectait pas les prescriptions du RC et en particulier celles de son article 8.2 pour avoir dépassé le nombre de pages maximal prévu pour la présentation des 4 documents composant le mémoire technique. La société soutient que ce motif qui a conduit à l’exclure est infondé en ce qu’elle a respecté les conditions de présentation des offres en déposant une offre comportant 17 pages pour le document 1, 11 pages pour le document 2, 17 pages pour le document 3, et 15 pages pour le document 4, soit un volume total de 60 pages et que le rejet de son offre est irrégulier et constitutif d’un manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence.
La commune expose dans ses écritures que la société a contourné la limitation formelle prévue par le règlement de consultation, par un artifice de présentation et que chaque page contient en réalité quatre pages miniatures d’ailleurs numérotées ce qui aboutit à un document 1 composé de 68 pages, un document 2 de 44 pages, un document 3 de 68 pages et un document 4 de 60 pages soit un mémoire technique de 240 pages très au-delà du format requis, que cette insertion de pages miniatures saturant le mémoire technique ainsi que le choix d’une taille de police de caractère réduit le rendent illisible, empêchant son analyse et une comparaison avec les autres offres et que dès lors ce dépassement de 180 pages de la limitation fixée ne pouvait qu’entraîner non pas une pénalisation de la note finale mais une élimination de l’offre, et qu’en acceptant cette offre, la commune aurait porté atteinte à l’égalité de traitement entre les candidats.
Si le choix d’imposer un nombre maximum de pages pour le mémoire technique peut permettre de faciliter l’analyse des offres et leur comparaison, il résulte, toutefois, de l’instruction que le règlement de consultation n’a pas défini les conditions de présentation du mémoire technique autrement que par cette limitation du nombre de pages, et n’a pas posé d’exigence notamment sur la taille de la police d’écriture employée ou sur la composition et la mise en forme de chaque page. Si la société Philippe Vediaud Publicité a choisi d’insérer pour chaque page du document quatre encarts et si elle a eu recours à une taille de police de caractère réduite, elle a néanmoins respecté le nombre requis de pages par le RC, la numérotation interne au sein de chaque page étant sans incidence. En outre, le document établi par la requérante conserve sa lisibilité laquelle est favorisée d’une part par la présentation, imposée par le règlement de consultation, sous forme de 4 fichiers informatiques séparés en format pdf qui permet aisément et en tant que de besoin un agrandissement pour en faciliter la lecture, et d’autre part par l’insertion de photos et de schémas explicatifs qui permettent d’aérer la présentation. Ainsi, la société requérante est fondée à soutenir que la commune a, en écartant son offre, manqué à ses obligations de publicité et de mise en concurrence ».
publié le 6 novembre 2023
Rappel : un marché de conception-réalisation ne peut être mis en œuvre que dans des cas strictement définis
TA Grenoble, ord.25 octobre 2023, Sté Wise Ride, n°2306384
La commune de Tencin, souhaitant faire plaisir à ses habitants, a entendu conclure un marché pour la réalisation d’un pumptrack, d’un bike parc et d’un parking, sous la forme d’un marché de conception réalisation.
Bien mauvaise idée néanmoins. En effet saisi d’un candidat évincé, le juge des référés considère, après avoir relevé d’office le manquement, « qu’il résulte des articles L.2171-2 et R.2171-1 du code de la commande publique que « la passation d’un marché de conception-réalisation, qui déroge aux conditions d’exercice de la mission de maître d’œuvre, par principe distincte de celle d’entrepreneur, ne peut avoir lieu que dans des circonstances particulières d’interprétation stricte ».
Pour rappel, l’article L.2171-2 du code de la commande publique dispose que « le marché de conception-réalisation est un marché de travaux permettant à l’acheteur de confier à un opérateur économique une mission portant à la fois sur l’établissement des études et l’exécution des travaux. / Les acheteurs soumis aux dispositions du livre IV ne peuvent conclure un marché de conception-réalisation, quel qu’en soit le montant, que si des motifs d’ordre technique ou un engagement contractuel portant sur l’amélioration de l’efficacité énergétique ou la construction d’un bâtiment neuf dépassant la réglementation thermique en vigueur rendent nécessaire l’association de l’entrepreneur aux études de l’ouvrage. Un tel marché est confié à un groupement d’opérateurs économiques. Il peut toutefois être confié à un seul opérateur économique pour les ouvrages d’infrastructures ». L’article R. 2171-1 du même code précise quant à lui que : « les motifs d’ordre technique justifiant le recours à un marché de conception-réalisation sont liés à la destination ou à la mise en œuvre technique de l’ouvrage. / Sont concernés des ouvrages dont l’utilisation conditionne la conception, la réalisation et la mise en œuvre ainsi que des ouvrages dont les caractéristiques, telles que des dimensions exceptionnelles ou des difficultés techniques particulières, exigent de faire appel aux moyens et à la technicité propres des opérateurs économiques ».
Au cas présent, la commune se bornait à faire valoir que le « pumptrack » doit permettre aux utilisateurs d’avancer sans relancer leur engin quel qu’il soit, qu’elle souhaitait se démarquer des parcours existants, bénéficier d’une bonne coordination entre conception et réalisation, disposer d’un produit sûr et pérenne avec la meilleure utilisation possible des deniers publics ne se prévalait toutefois d’aucune contrainte technique au sens des dispositions précitées qui concernent des ouvrages confiés à des groupements d’entreprises et dont la particulière complexité technique exige d’associer l’entrepreneur aux études d’ouvrage.
publié le 3 novembre 2023
Si la méthode de notation prévoit l’attribution de notes entières, l’acheteur ne peut attribuer des notes décimales
TA Caen, ord. 23 octobre 2023, Sté Couverture JL Leprovost et Fils, n°2302484
Dans cette affaire, une commune avait mis en œuvre une procédure adaptée pour l’attribution d’un marché de travaux. Plusieurs manquements ont été commis et retenus par le juge, pamis lequel le non-respect de la méthode de notation définie au RC. Ce dernier précisait en effet que la valeur sera notée « par l’application d’un nombre entier », à l’aide d’un tableau détaillant qu’une valeur technique se voit attribuer la note de 20 lorsqu’elle est « très bonne », la note de 16 si elle est « bonne », la note de 10 pour « correcte », 6 si elle est « insuffisante » et 0 si elle est « non satisfaisante ».
Méthode somme toute classique et parfaitement régulière. Sauf que sa mise en œuvre a été violée par la ville qui a attribué aux candidat évincé des notes décimales…et le juge de relever donc fort logiquement qu’il « résulte du rapport d’analyse des offres que, s’agissant de la valeur technique, la société requérante a obtenu la note de 17,5 sur 20 pour le sous-critère « Les moyens humains et matériels adaptés pour chaque tâche mis en œuvre pour le chantier » et la note de 2,5 sur 20 pour le sous-critère « Mode opératoire par phase pour ce chantier faisant apparaître la tenue du planning et les contrôles internes », la société retenue obtenant les notes respectives de 20 et 15. Si la commune fait valoir que le tableau détaillant les niveaux des notes à attribuer selon les qualités des offres ne faisait pas obstacle à ce que des notes intermédiaires soient attribuées aux offres qui se situent entre deux niveaux de qualité mentionnés au tableau, il résulte du rapport d’analyse des offres que, contrairement à ce qu’annonçait le règlement de la consultation, le pouvoir adjudicateur n’a pas attribué à la société Couverture JL Leprovost et Fils des notes « par l’application d’un nombre entier » et ce, pour les deux sous-critères de la valeur technique. Si le pouvoir adjudicateur n’était pas tenu de porter sa méthode de notation à la connaissance des candidats, il devait toutefois respecter la méthode qu’il avait détaillée dans le règlement de la consultation et, par conséquent, noter la valeur technique des offres par l’application d’un nombre entier. Eu égard au faible écart de points entre les notes globales attribuées à la société requérante, soit 83 points sur 100, et la société attributaire, soit 85 points, l’irrégularité constatée dans la notation des offres, qui a porté atteinte au principe d’égalité de traitement des candidats, a été susceptible de léser la société requérante ».
publié le 30 octobre 2023
Le RC est obligatoire dans toutes ses dispositions...sauf pour le délai de remise des attestations par l’attributaire pressenti
CE, 26 octobre 2023, commune de Strasbourg, n°474464
Encore une solution innovante du Conseil d’Etat en faveur des acheteurs. Bien qu’en vertu d’un considérant bien ancré, le RC est en principe obligatoire dans toutes ses dispositions, le Conseil d’Etat vient créer une exception étonnante s’agissant du délai de remise de ses attestations par l’attributaire pressenti.
Au cas présent, l’article 8.2 du RC indiquait classiquement que « l'offre la mieux classée sera donc retenue à titre provisoire en attendant que le ou les candidats produisent les certificats et attestations des articles R. 2143-6 à R. 2143-10 du code de la commande publique. Le délai imparti par le pouvoir adjudicateur pour remettre ces documents ne pourra être supérieur à 6 jours. A défaut, le candidat classé immédiatement après sera sollicité pour produire les documents nécessaires à l'attribution de l'accord cadre et visés à l'article R. 2144-7 dudit code ». L’attributaire pressenti avait remis ses attestations au stade de la candidature puis, au stade de l’attribution provisoire, mais au-delà de délai impératif fixé au RC.
Pourtant, le Conseil d’Etat va juger que ce non-respect est sans incidence sur la régularité de la procédure suivie : « Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg que le groupement dont le mandataire est la société 1090 architectes a transmis l'ensemble des certificats et attestations prévus par les articles R. 2143-6 à R. 2143-10 du code de la commande publique au stade de sa candidature puis a procédé à une nouvelle transmission entre le 1er mars et le 14 avril 2013 de ces mêmes certificats et attestations en cours de validité. Ces transmissions ont ainsi mis la commune à même de s'assurer que ce groupement était à jour de ses obligations tant lors du dépôt de sa candidature qu'avant la signature du marché, conformément à ce qui a été dit au point 5. Dès lors, la seule circonstance que ces certificats et attestations n'auraient pas été produits dans le délai imparti par les stipulations de l'article 8.2 du règlement de la consultation citées au point précédent est sans incidence sur la régularité de la procédure suivie. Par suite, en jugeant que cette circonstance constituait un manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence susceptible d'avoir lésé M. A..., le juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg a commis une erreur de droit ».
Le Conseil d’Etat fait donc de nouveau preuve de souplesse coté acheteur, et c’est sûrement une bonne chose. Ce serait encore mieux s’il pouvait également faire parfois preuve de la même mansuétude coté opérateur économique, histoire de rééquilibrer un peu la balance qui commence à pencher sérieusement.
publié le 27 octobre 2023
Le titulaire défaillant du marché précédent ne peut pas attaquer la relance du marché suivant
TA de Guadeloupe, ord. 12 octobre 2023, Sté Babel, n°2301159
La société Babel (bien connue pour un autre contentieux célèbre) a demandé l’annulation de la procédure de passation d’un marché de conception-réalisation, au motif que les deux irrégularités mises en avant l’avaient dissuadé de présenter sa candidature. Cependant, la société était titulaire du précédent marché qui avait été résilié pour faute « en raison d’importantes difficultés d’exécution constatées au cours de l’exécution du précédent marché ». Le maître d’ouvrage soutenait donc si la société avait soumissionné, sa candidature aurait en tout état de cause nécessairement été écartée sur le fondement de l’article L.2141-7 du code de la commande publique, qui permet à l’acheteur d’exclure de la procédure de passation les personnes qui ont été sanctionnées par une résiliation du fait d’un manquement grave ou persistant à leurs obligations contractuelles lors de l’exécution d’un contrat de la commande public antérieur. Le juge va d’ailleurs confirmer ce point de vue : « dans le cadre de l’exécution du précédent marché de maîtrise d’œuvre confié le 12 janvier 2008 à la SARL Babel et qui porte sur le même projet tendant à la réhabilitation et la modernisation du centre des arts et de la culture de la commune de Pointe à Pitre, le maitre d’ouvrage a pointé des défaillances de cette société dès le 31 décembre 2016 et l’a mise en demeure, par courrier du 25 juillet 2019, de pallier à ces défaillances. Il lui était ainsi reproché, en substance, une présence insuffisante sur le chantier et la communauté d’agglomération Cap Excellence lui demandait de désigner un représentant légal décisionnaire qui pourrait « assurer un suivi continu des réunions de chantier, une participation aux réunions de coordination de la synthèse, prendre des décisions, avoir un pouvoir de signature et garder une régularité minima hebdomadaire sur la maitrise du chantier ». Dans le cadre d’une expertise du 7 mars 2022, l’expert relève des difficultés d’exécution de certains lots et mentionne qu’il « ne comprend pas pourquoi il n’y a pas de réaction et/ou de décision efficace de l’équipe de maitrise d’œuvre ». Par un courrier du 27 juillet 2022, le président de la communauté d’agglomération Cap Excellence a notifié à la société requérante une lettre de résiliation pour faute du contrat de maîtrise d’œuvre en pointant ces défaillances relatives principalement à une présence insuffisante sur le chantier et à des erreurs dans les études ayant entrainé des dérives opérationnelles et budgétaires du projet. Si la société requérante soutient qu’elle a répondu aux différents courriers du maître de l’ouvrage et que la lettre de résiliation est contestable tant sur la forme que sur le fond, il ne résulte pas de l’instruction que cette résiliation pour faute ait fait l’objet d’une contestation formelle auprès de l’acheteur ni d’un recours contentieux de sa part dans un délai raisonnable alors que cette résiliation lui a été notifiée par voie d’huissier le 14 septembre 2022. De même, si elle fait valoir que ce motif d’exclusion reste à l’appréciation de l’acheteur qui doit en application de l’article L.2141-11 du code de la commande publique mettre l’opérateur économique à même de présenter ses observations afin d’établir qu’il a pris les mesures nécessaires pour corriger les manquements précédemment énoncés, elle ne fait valoir, dans le cadre de la présente instance, aucun élément de nature à justifier qu’elle aurait remédié aux manquements relevés par l’acheteur. Il en résulte que la société requérante ne disposait manifestement pas des capacités techniques et professionnelles suffisantes de sorte que les manquements dénoncés étaient insusceptibles de l’avoir lésée. Par suite, les moyens invoqués sont inopérants. Il résulte de ce qui précède que la requête présentée par la SARL Babel doit être rejetée ».
publié le 16 octobre 2023
Même une note de 15 sur 20 peut révéler une méprise évidente et donc une dénaturation
TA Dijon, ord. 5 octobre 2023, Sté Ateliers Enache, n°2302521
La dénaturation d’une offre par l'acheteur est un moyen qui est quasiment systématiquement soulevé dans le cadre d'un référé précontractuel. C'est également un moyen qui est, la plupart du temps écarté, au motif qu'il est infondé, ou qu'il reviendrait à demander au juge de se pencher sur les mérites respectifs des offres, ce que son office lui interdit.
Et plus les notes sont bonnes, moins la dénaturation est caractérisée, les juges ayant tendance à considérer qu’une bonne note interdit, par nature et par définition, toute dénaturation.
L'ordonnance commentée aujourd'hui en offre une illustration contraire et c'est une bonne chose.
Il s'agissait ici d'un marché de restauration de sculptures. Une société s'était notamment vue attribuer une note de 15 sur 20 sur un sous-critère « références », au motif que « l’entreprise ne présente pas de sculpture figurative ». Elle avait également obtenu des 10 sur 20 aux autres sous critères de la valeur technique.
Le juge relève, s'agissant des références, que « l’offre remise par la société Ateliers Enache qui est produite au dossier comporte de très nombreuses « références » de chantiers sur lesquels des prestations de sculpture figurative ont été effectuées », et, pour le reste, qu’elle présente des « moyens humains et techniques dédiés » au chantier de manière complète, précise et détaillée et dont certains -Viorel Enache, Nicolas Audigier, Axel Berton et Cédric Beji- ont travaillé sur des chantiers de sculpture figurative et, enfin, propose, dans son point 3, une « méthodologie », développée sur sept pages environ, qui comprend notamment une description de l’édifice et des « constats d’état » qui apparaissent satisfaisantes ».
Dans ces conditions, le juge considère que « la commune, en attribuant à la société Ateliers Enache seulement 35 points sur 60 sur le critère de la valeur technique alors que la qualité de son offre est sur ce point manifestement très supérieure, s’est méprise, de manière évidente, sur le contenu de l’offre et l’a ainsi dénaturée ».
Moralité : même une bonne note peut cacher une dénaturation.
publié le 13 octobre 2023
Remise d’offres papier : et oui c’est encore possible dans certains cas
TA Cergy-Pontoise, ord. 26 septembre 2023, Sté Atelier d’architecture BG Associés, n°2311670
La démat est tellement entrée dans la vie quotidienne des acteurs de la commande publique qu’on oublie que l’article R.2132-12 du code de la commande publique autorise l’acheteur à ne pas utiliser des moyens de communication électronique dans un certain nombre de cas :
C’est ce dernier cas qui fait l’objet de l’ordonnance commentée. Il s’agissait d’un concours procédure de concours de maîtrise d’œuvre restreint avec remise de maquette. En application de l’article précité, le RC précisait que l’ensemble des pièces de l’offre devait être remis chez un commissaire de justice. L’un de candidats avait toutefois déposé uniquement sa maquette chez l’huissier, et le reste de pièces sur la plateforme de dématérialisation, de sorte que son offre a été jugé irrégulière, position validée par je juge des référés : « Au motif qu’à l’exception de la maquette, déposée auprès de l’étude du commissaire de justice, elle a transmis l’ensemble des pièces par voie dématérialisée, en la déposant le 19 mai 2023 dans l’onglet dossier d’offre anonyme sur la plateforme Maximilien, la requérante soutient que c’est à tort que son offre a été déclarée incomplète. Toutefois, le règlement de concours précisait avec suffisamment de clarté, pages 1 et 4, que les prestations à fournir par les concurrents, telles que définies par le règlement, devaient être « déposées contre récépissé auprès de l’étude d’huissier » au plus tard le 11 avril 2023 et la maquette le 9 mai 2023. L’obligation de déposer « l’intégralité des prestations » chez l’huissier a, par ailleurs, été rappelée par le département du Val-d’Oise en réponse à une question posée par un des quatre candidats admis à concourir. En outre, les documents de la consultation prescrivant la présentation d’une maquette, qui ne pouvait être transmise par voie électronique, l’ensemble des pièces requises par le règlement de concours devait, conformément aux dispositions du dernier alinéa de l’article R.2132-13 du code de la commande publique, être transmis selon les mêmes modalités que la maquette, exigence qui n’est pas manifestement dépourvue de toute utilité pour l’examen des offres et qui pouvait aisément être satisfaite par tous les candidats. La requérante n’est, dès lors, pas fondée à soutenir que le département aurait écarté à tort son offre ou manqué à l’obligation de clarté du règlement du concours ».
publié le 29 septembre 2023
Après une annulation de la procédure au stade de l’analyse des offres, les notes non impactées par l’irrégularité ne peuvent pas être modifiées
TA Polynésie française, ord.22 septembre 2023, Sté BS-Archi, n°2300391
Les annulations de procédures (de plus en plus rares) sont, la plupart du temps, partielles, et interviennent le plus souvent à compter du stade de l’analyse des offres. Cela signifie que cette partie de la procédure est « effacée » et que le pouvoir adjudicateur doit recommencer sa procédure à ce stade.
Il doit donc procéder à une nouvelle analyse des offres. Mais doit-il tenir compte de la précédente analyse, en tout cas dans sa partie non affectée par l’irrégularité ?
Par exemple, si une procédure est jugée sur 3 critères, et qu’une dénaturation a été identifiée sur un des critères, les notes sur les 2 autres critères non impactés doivent-elles rester identiques ou peuvent-elles être différentes ?
C’est à cette question que s’est attaché à répondre le TA de Polynésie française, et le moins que l’on puisse dire est que sa réponse est parfaitement claire : « l’annulation de la procédure de passation du concours de maîtrise d’œuvre au stade de l’analyse des offres impliquait nécessairement pour la CCISM, si elle entendait poursuivre la procédure, de la reprendre au stade de l’analyse des offres des candidats. Elle ne peut alors, sauf à méconnaître ses obligations de publicité et de mise en concurrence, modifier l’appréciation précédemment portée sur la valeur des offres que dans la limite de la prise en compte des motifs de l’annulation qui avait été prononcée par le juge des référés ».
Dans cette affaire, l’acheteur avait repris l’analyse des offres à la suite d’une première annulation et avait modifié l’ensemble des notes, y compris sur les critères n’ayant pas été considérés comme irréguliers la première fois. Hasard ou pas, le candidat évincé, déjà requérant dans le cadre du premier référé, et qui avait récupéré des points au titre de l’illégalité soulevée la première fois, en perdait sur des critères non impactés, de sorte qu’il restait deuxième : « Sur ce sous-critère de la qualité de l’intégration urbanistique et paysagère, la société BS – Archi expose que sa note a été abaissée de 10 points, attribués lors de la première analyse, à 8,5 lors de la seconde et que dans le même temps, celle de son concurrent a été diminuée, de 8 points lors de la première analyse à 7,5 points lors de la seconde. Ainsi, alors que l’écart sur ce critère était de 2,5 points en sa faveur, il n’est plus de que 0,5 points. Ce faisant, ainsi qu’il a été dit au point 4, dès lors que l’appréciation à porter sur la valeur des offres sur ce sous-critère n’étant en rien impactée par les motifs de l’annulation prononcée par le juge des référés, le jury de la CCISM ne pouvait, sans méconnaitre ses obligations de publicité et de mise en concurrence, modifier la notation qui avait été appliquée sur ce sous-critère ».
In fine néanmoins, ce deuxième référé est rejeté au motif que cette nouvelle notation ne léserait pas le candidat évincé.
Cette décision, qui a le mérite de la clarté, est toutefois doublement critiquable.
D’une part dès lors que l’analyse est reprise dans son ensemble, il n’est pas inconcevable que les notes changent, pour l’ensemble des critères (analyse faite par un autre personne, plus objective etc…).
D’autre part, retenir une absence de lésion ici peut finalement inciter les acheteurs à maximiser les écarts entre l’attributaire et les candidats évincés, pour justement faire en sorte que ces derniers ne soient pas lésés par l’illégalité commise. Ce paradoxe, évident, n’a pourtant jamais été identifié par le Conseil d’Etat ou les juridictions du fond, qui continuent à appliquer Smigeomes de façon bête et méchante.
C’est bien dommage.
publié le 28 septembre 2023
Une indication erronée sur la reprise du personnel dans le DCE et c’est l’annulation
TA Marseille, ord. 15 septembre 2023, Sté Foire Internationale de Marseille, n°2307834
La ville de Marseille avait mis en œuvre une procédure de passation en vue de la conclusion d’un affermage portant sur la gestion et l’exploitation du parc Chanot. Le DCE de la procédure mentionnait explicitement, s’agissant de la reprise du personnel, qu’« aucun transfert de contrat de travail ne s’impose au nouveau délégataire ».
L’ancien gestionnaire du site ayant vu son offre rejetée mettait en avant le caractère erroné de cette information, susceptible d’avantager ses concurrents, mais également de le défavoriser.
Après avoir vérifié que nous étions bien en présence d’une entité économique autonome, le juge annule donc la procédure dans son intégralité : « l’activité concédée de gestion et d’exploitation du parc Chanot et d’entretien de cet ensemble immobilier constituera une activité identique à celle exercée par la société requérante de manière exclusive grâce au travail de quarante-sept salariés, les circonstances tenant à ce que les noms ou les thèmes des foires ou salons organisés diffèreront ou à ce que la part du chiffre d’affaires de la foire internationale de Marseille dans le chiffre d’affaires de la société requérante serait prépondérante n’étant pas suffisantes pour regarder l’activité comme substantiellement différente, dès lors, notamment, que le délégataire aura en charge l’organisation d’évènements équivalents à la foire de Marseille et aux salons organisés par la société Foire internationale de Marseille. Il résulte de ce qui précède que le transfert de la gestion et de l’exploitation du parc Chanot par la société Foire internationale de Marseille à un autre employeur au terme de la procédure en cause constituerait le transfert d’une entité économique autonome qui impliquerait le transfert des contrats de travail des salariés de la société requérante au bénéfice du concessionnaire. Dans ces conditions la mention « Aucun transfert de contrat de travail ne s’impose au nouveau délégataire » portée à l’article 11.1 du projet de cahier des charges faisant partie des documents de la consultation, en méconnaissance des dispositions de l’article L.1224-1 du code du travail, est susceptible d’avoir trompé les candidats sur le nombre de salariés nécessitait par le contrat et le montant des charges de personnel et, par voie de conséquence, de les avoir empêché de présenter une offre financière pertinente. Cela est également susceptible d’avoir lésé la société Foire internationale de Marseille dès lors que l’absence de reprise des contrats de travail peut avoir pour conséquence, toutes choses égales par ailleurs, de défavoriser son offre financière par rapport à d’autres candidats ; que la procédure de passation de la concession de la gestion et de l’exploitation du parc Chanot est irrégulière. Dès lors qu’en l’espèce les offres ont été remises à la commune de Marseille concomitamment aux candidatures, la présente décision implique d’annuler la procédure en cause ».
S’il l’on peut s’étonner qu’un pouvoir adjudicateur si important commette une telle erreur dans l’application de l’article L.1224-1 du code du travail, cet exemple illustre le fait que cette question du transfert de personnel est souvent trop peu examinée en amont du lancement d’une procédure, alors qu’elle peut avoir d’importantes conséquences.
publié le 18 septembre 2023
Limitation du nombre de candidats : tout l’arrêté du 2 mars 2019, mais rien que l’arrêté
TA Lille, ord. 1er septembre 2023, Sté Europe Services Propreté, n°2307335
L’arrêté du 22 mars 2019 fixant la liste des renseignements et des documents pouvant être demandés aux candidats aux marchés publics, qui constitue l’annexe 9 du code de la commande publique, liste de façon limitative les pièces et renseignements qu’il est possible d’exiger des candidats au stade de la candidature.
Lorsqu’un acheteur souhaite, dans le cadre d’une procédure restreinte, limiter le nombre de candidats admis à déposer une offre, il doit sélectionner les meilleures candidatures à l’aune de ces seuls éléments. Tout élément demandé qui ne figure pas strictement dans la liste est ainsi susceptible de fragiliser la procédure, comme l’illustre cette ordonnance.
En l’espèce, le musée du Louvre-Lens avait lancé une consultation sous forme d’appel d’offres restreint pour l’attribution d’un marché de service de nettoyages des sites du Musée du Louvre-Lens et du Centre de conservation du Louvre. Il était précisé que seules les 5 meilleurs candidats seraient admis à déposer une offre. Un soumissionnaire rejeté au stade de la candidature critiquait le fait que les renseignements demandés à ce stade excédaient la liste de l’arrêté, s’agissant des effectifs. Et le juge va lui donner raison : « aux termes de l’arrêté du 22 mars 2019 « I. – Dans la mesure où ils sont nécessaires à l’appréciation des capacités techniques et professionnelles des candidats, l’acheteur peut exiger un ou plusieurs renseignements ou documents figurant dans la liste ci-dessous. Pour les marchés publics autres que de défense ou de sécurité, cette liste est limitative. / () 3° Une déclaration indiquant les effectifs moyens annuels du candidat et l’importance du personnel d’encadrement pendant les trois dernières années ; / 4° Pour les marchés publics () l’indication des titres d’études et professionnels du candidat ou des cadres de l’entreprise, et notamment des responsables de prestation de services ou de conduite des travaux de même nature que celle du marché public ». Il résulte du règlement d’appel à candidatures établi par l’EPCC Musée du Louvre-Lens que, pour ce qui concerne les capacités techniques, et s’agissant des moyens humains, les candidats devaient présenter « les effectifs (dont la répartition et le niveau de qualification professionnelle des effectifs) dont il dispose au moment de sa candidature », « l’organigramme fonctionnel de sa société, l’agence en charge des prestations ainsi que l’organisation de sa structure » et « présenter au pouvoir adjudicateur l’ensemble des postes en place du pôle directionnel au pôle d’exécution, avec répartition des effectifs par pôle ». Il résulte de ce qui précède que l’EPCC Musée du Louvre-Lens a, pour procéder à la sélection des candidats admis à présenter une offre, exigé, dans le règlement d’appel à candidatures, les informations citées au point précédent, qui excédaient ce qu’il pouvait exiger par application de l’arrêté du 22 mars 2019. Ce manquement du pouvoir adjudicateur est susceptible d’avoir lésé la société requérante […] que la société requérante est fondée à demander l’annulation de la procédure de passation du marché contestée dans son intégralité ».
publié le 8 septembre 2023
Installation et exploitation de bornes de recharge de véhicules électriques sur la voie publique : une simple convention d’occupation insusceptible de référé
TA Strasbourg, ord. 5 septembre 2023, Sté E-Totem, n°2305837
A la suite d’un appel à initiative privée lancé, sur le fondement de l’article L.2122-1-1 du CG3P afin de lui permettre de retenir le candidat le plus apte à développer un réseau d’infrastructures de recharges pour véhicules électriques sur son domaine public, Metz Métropole a retenu l’offre d’une société et un candidat évincé a introduit un référé précontractuel.
Le juge vérifie donc si ce contrat constitue un contrat de la commande publique, réponse à laquelle il apporte une réponse négative : « il résulte de l’instruction, en particulier du cahier des charges de la consultation en litige, que celle-ci a été engagée en vue de « déployer, financer, exploiter, superviser et maintenir un réseau de bornes de recharge de véhicules électriques sur la voirie et le foncier public de Metz Métropole ». Elle doit aboutir à la conclusion d’une convention-cadre encadrant le « partenariat » entre cette dernière et l’attributaire, d’une durée maximale de 15 ans, les titres d’occupation spécifiques à chaque station devant être conclus au fur et à mesure de leur installation et dans la limite de la durée maximale de la convention-cadre. Le cahier des charges comporte, en outre, des prescriptions quant au nombre minimal de points de charge à installer et à leurs délais de déploiement, à leurs caractéristiques minimales techniques, esthétiques et environnementales, ainsi qu’à la qualité du service rendu aux usagers. Enfin, il prévoit offre à l’attributaire l’exclusivité sur le domaine public, mais uniquement pour des infrastructures de recharge d’une puissance inférieure ou égale à 50 kW par point de charge. Il résulte de l’instruction que Metz Métropole assume, depuis le 1er janvier 2018, la compétence en matière d’infrastructures de recharge pour véhicules électriques, laquelle emporte notamment l’obligation d’assurer le déploiement équilibré de ces infrastructures sur son territoire. En outre, le gestionnaire du domaine public peut toujours imposer à l’occupant qu’il l’autorise à utiliser de manière privative des sujétions liées à la préservation de ce domaine. Au regard des dispositions précitées, et alors même que l’exécution de la convention projetée impliquera la réalisation de travaux, le recours au procédé contractuel dans le cadre de l’exercice de cette compétence et en vue d’une utilisation privative du domaine public de la métropole ne saurait, par lui-même, permettre de qualifier cette convention comme entrant dans le champ de l’article L.551-1 du CJA. Enfin, les différentes prescriptions et sujétions mentionnées au point 5 n’excèdent pas les obligations qu’une autorité compétente en matière d’infrastructures de recharge pour véhicules électriques et gestionnaire du domaine public sur lequel elles doivent être implantées peut imposer en vue d’assurer le déploiement équilibré de ces infrastructures sur son territoire et de préserver son domaine. Ainsi, et alors qu’en outre, le cahier des charges laisse le titulaire libre de fixer les tarifs qu’il appliquera aux usagers, ne lui confère aucune prérogative de puissance publique et ne prévoit aucun contrôle de son activité par Metz Métropole, il ne résulte pas de l’instruction que cette dernière aurait entendu organiser un service public que la convention projetée aurait, au sens des dispositions précitées, pour objet de déléguer ».
publié le 7 septembre 2023
Pagination maximale du mémoire technique : nouvelle décision, mais toujours des questions
TA Montreuil, ord. 28 juillet 2023, Sté Interface conseil, n°2308306
Il y a quelques jours, je commentais une ordonnance du TA de Grenoble sur la question de la fixation d’un nombre de pages maximum d’un mémoire technique.
Nouvelle illustration aujourd’hui, avec un candidat qui a vu son offre écartée comme irrégulière au motif qu’elle ne respectait pas l’article du RC relatif à la pagination maximale du mémoire technique. L’article 5.2 en question fixait en effet le nombre maximum de pages pour le mémoire technique à 80 hors références et CV. Le mémoire technique du candidat faisant 104 pages, son offre avait été jugée irrégulière.
Ce candidat mettait en avant le fait que l’exigence méconnue n’était pas utile, hors considération purement pratique, à l’analyse de son mémoire technique, que l’irrégularité commise était de nature purement formelle et n’avait aucune incidence sur l’appréciation du contenu de l’offre et, surtout qu’une telle exigence était imprécise puisque le RC ne détaillait pas la taille de police ou encore l’espace d’interlignes à respecter.
Sans réellement répondre à ces dernières questions, le juge va valider le rejet de l’offre de ce candidat au motif que « l’exigence prévue à l’article 5.2 du règlement de consultation n’apparaît pas comme manifestement dépourvue de toute utilité, au regard notamment de son intérêt pour faciliter l’analyse des offres et leur comparaison. De surcroît, si la société requérante fait valoir, légitimement, l’imprécision de cette exigence qui ne prévoit par exemple pas de taille de police ou d’interlignes particulières, il est constant que le mémoire technique comporte 104 pages hors références et CV, dépassant ainsi de 30% le format requis sans possibilité de le respecter en modifiant uniquement la mise en forme ».
Quelle aurait été la réponse du juge si le mémoire technique avait fait 84 pages et qu’une autre mise en forme aurait pu le faire redescendre à 80 ? Réponse (on l’espère) au prochain épisode…
publié le 7 août 2023
Le candidat qui embauche un agent de la collectivité juste avant la parution du DCE du marché sur lequel il a travaillé peut valablement être exclu de la consultation
TA Marseille, ord. 21 juillet 2023, Sté Egis Ville et Transports, n°2305863
L’article L.2141-8 du code de la commande publique autorise un acheteur à exclure de la procédure de passation d’un marché les personnes qui, par leur participation préalable directe ou indirecte à la préparation de la procédure de passation du marché, ont eu accès à des informations susceptibles de créer une distorsion de concurrence par rapport aux autres candidats, lorsqu’il ne peut être remédié à cette situation par d’autres moyens.
L’ordonnance commentée offre une illustration de cette possibilité, mise en œuvre par la métropole d’Aix-Marseille-Provence pour un marché portant sur des prestations d’études de faisabilité pour le développement de l’offre de transports, de mobilité et d’infrastructures de déplacement. La collectivité avait en effet constaté, lors de l’examen des offres reçues, la présence au sein de l’équipe proposée pour exécuter les prestations de Monsieur A, salarié de la société Egis Villes et Transports depuis le 5 septembre 2022, mais qui avait été recruté par la Métropole en qualité d’ingénieur contractuel du 1er septembre 2020 au 4 septembre 2022. Or, ses missions lui donnaient accès à l’ensemble des données d’informations relatives aux enjeux du transport sur le territoire de la Métropole, objet du marché en cause. En outre, l’avis de marché avait été publié le 30 septembre 2022, soit juste après son départ de la collectivité le 4 septembre et son embauche au sein de la société candidate le 5 septembre.
Dès lors, selon le magistrat « compte tenu de l’implication de M. A dans l’équipe des transports de la Métropole pour la préparation de cet accord-cadre, et alors qu’il a quitté la Métropole le 4 septembre 2022 alors que le dossier de l’accord-cadre devait être prêt, la société requérante ne peut soutenir que M. B n’a pas bénéficié d’informations privilégiées dès lors que les 4 lots font partie intégrante du même accord-cadre, dont l’élaboration a nécessairement conduit à définir les critères communs d’analyse des offres, la société requérante ne pouvant se borner à soutenir, dans le cadre de la présente instance, que M. A ne figure pas dans l’équipe chargée des prestations du lot 4. Dès lors qu’il résulte de l’instruction que M. A est susceptible d’avoir directement ou indirectement participé à l’élaboration de l’accord-cadre en litige, ces informations dont a disposé la société requérante ont été de nature à créer une distorsion de concurrence et la Métropole ne disposait en conséquence, en l’état de l’instruction, d’autre solution que d’écarter la candidature de la société Egis Villes transports de l’appel d’offres ouvert concernant l’accord-cadre dans son ensemble. Ainsi, et la circonstance que la déontologue de la Métropole n’aurait pas visé dans son avis les dispositions de l’article L. 2141-8 2° du code de la commande publique étant sans incidence, la Métropole a pu à bon droit exclure, sur ce fondement, la candidature de la société Egis Villes et transports de l’accord-cadre en litige ».
publié le 27 juilet 2023
Cadre de réponse technique joint au DCE : l’offre qui ne le respecte pas est irrégulière
TA Marseille, ord. 21 juillet 2023, Sté Ludi Arles organisation, n°2306079
De plus en plus d’acheteurs y ont recours : le cadre de mémoire technique, ou cadre de réponse technique (CRT) permet une uniformisation des réponses et une comparaison plus aisée des offres. Coté acheteur il s’agit donc d’un outil très pratique. Mais côté candidat, cela rajoute clairement du travail supplémentaire dans l’élaboration de son offre, puisqu’il doit respecter un cadre parois très précis, comme c’était le cas en l’espèce.
La ville d’Arles avait mis en œuvre une procédure de passation pour la délégation de service public portant sur l’organisation des spectacles taurins et traditionnels dans ses arènes. Elle avait demandé aux candidats de déposer leur offre ne respectant un cadre de mémoire technique très précis : « l’article 7 du RC prévoyait que les offres des candidats devaient être présentées sous la forme d’un mémoire technique et financier établi conformément à un cadre précis, se présentant sous la forme d’un tableau contenant quatre colonnes, et douze lignes et précisait que le mémoire technique et financier devait être complété et joint à la réponse. Chacune des rubriques posées dans le cadre du mémoire technique correspondait au sous-critère qui lui était dédié ». Le juge relève à cet égard que « cette présentation avait vocation à permettre une comparaison aisée des candidatures et à faciliter l’analyse des offres et ne peut être regardée comme manifestement dépourvue de toute utilité ».
Un candidat n’avait pas respecté cette présentation, mais soutenait que son mémoire contenait toutes les mentions nécessaires et affirmait que cette exigence du cadre de mémoire technique était manifestement inutile.
Le juge va toutefois lui donner tort : « que le mémoire technique présenté par la société requérante ne se présentait pas sous la forme d’un tableau, ne reprenait pas le cadre du mémoire technique imposé par la commune et ne reprenait pas littéralement chacune des rubriques contenues dans ce cadre mais se présentait sous la forme d’une offre de quarante pages découpée en trois grandes rubriques intitulées Savoir-faire, Faire savoir et Simulation financière, intitulés qui ne correspondaient pas aux critères de la consultation. Si la société requérante soutient que les parties de son mémoire technique sont elles-mêmes divisées en sous-parties, correspondant aux différents sous-critères et aux différentes rubriques du cadre du mémoire technique associées, la présentation adoptée imposait à la commune de vérifier que le contenu des rubriques créées par le candidat correspondait au contenu des rubriques imposées par le règlement de consultation, et que la reformulation des rubriques retenues par la commune, alors que le mémoire technique était appelé à devenir une pièce contractuelle n’entraînait pas un allègement de ses futures obligations. Cette présentation, qui résulte d’un choix de la société, ne saurait être regardée comme une erreur purement matérielle. La circonstance que le tableau imposé se présente sous la forme d’un fichier au format pdf ne faisait, enfin, pas obstacle à ce qu’il soit repris et complété par la société pour la présentation de son offre. Par suite, ainsi qu’il a été dit au point 4, la commune ne pouvait attribuer le contrat à un candidat qui n’avait pas respecté une des exigences imposées par le règlement de consultation. Par suite, la société Ludi Arles n’est pas fondée à soutenir que la commune d’Arles a manqué à ses obligations de publicité et de mise en concurrence en rejetant son offre comme irrégulière pour ce motif ».
Si le choix du CRT est donc possible, il faut toutefois penser au travail supplémentaire qu’il implique pour les candidats avant d’y recourir.
publié le 26 juillet 2023
Réponse à une demande de précisions sur la teneur d’une offre : attention à ne pas aller trop loin, sous peine de rejet
TA Cergy-Pontoise, ord. 20 juillet 2023, Sté Interfaces, n°2308809
On sait que dans le cadre d’une procédure formalisée d’appel d’offres, l’acheteur ne peut pas négocier avec les soumissionnaires, il lui est seulement possible de leur demander de préciser la teneur de leur offre (article R.2161-5 du code de la commande publique).
En réponse à une telle demande, le candidat ne peut en profiter pour modifier son offre, sous peine de voir celle-ci d’être rejetée pour méconnaissance du principe d’intangibilité des offres, comme le rappelle le juge des référés dans cette ordonnance : « qu’alors que l’offre initiale de la SASU Interfaces mentionnait un directeur de site représentant 1/2 ETP et deux hôtes d’accueil représentant 1,5 ETP, prévus pour être recrutés avec un profil d’accueil et petit secrétariat, l’offre de son courrier explicatif du 22 mai 2023 à la suite de la demande d’éclaircissements de la CARPDF mentionnait désormais un directeur de site représentant 3/5 ETP, un salarié à 4/5 sur le poste « Office et community manager expérimenté » et un salarié à 3,5/5 sur le poste « Office et community manager plus junior ». Il ressort de l’analyse comparative de ces documents que le volume d’ETP du directeur de site est passé de 0,5 à 0,6 ETP, soit une augmentation de 0,1 ETP représentant plus de trois heures de travail par semaine. Par ailleurs, si le volume des autres agents est resté stable, au niveau de 1,5 ETP, les profils ont changé, puisque les hôtes d’accueil recrutés pour faire de l’accueil et du petit secrétariat ont évolué pour devenir des office et community managers, appelés, de par la terminologie même retenue, à réaliser des travaux distincts, en phase avec les articles 4.1.1, 4.1.2 et 4.1.3 du CCTP, prévoyant des tâches de gestion administrative, financière et technique. Dans ces conditions, la SASU Interfaces doit être regardée comme ayant apporté en cours de procédure des éléments nouveaux qui ont eu pour effet de modifier et non seulement préciser la teneur de son offre initiale, qu’il s’agisse tant du volume horaire dévolu au directeur de site que des missions qualitatives confiées à ses subordonnés. Dès lors, en vertu du principe d’intangibilité des offres, et alors que le critère « présentation de l’équipe dédiée » représentait 15 % de la note finale, c’est à bon droit que la CARPDF, qui a suffisamment précisé ses motifs au regard des dispositions précitées au point 4 ci-dessus de l’article R. 2181-3 du code de la commande publique, a écarté l’offre de la SASU Interfaces, qui ne saurait utilement soutenir que le prix de son offre est resté stable avant et après la demande de précisions de la CARPDF ».
publié le 25 juillet 2023
Démat : pensez à consulter l’accusé de réception émis par la plateforme pour éviter les mauvaises surprises
TA Cergy-Pontoise, ord. 18 juillet 2023, Sté Koala Propreté, n°2308566
On sait que si l’article R.2151-5 du code de la commande publique prévoit que les offres reçues hors délai sont éliminées, l’acheteur public ne saurait toutefois rejeter une offre remise par voie électronique comme tardive lorsque le soumissionnaire, qui n’a pu déposer celle-ci dans le délai sur le réseau informatique mentionné à l’article R.2132-9 du même code, établit, d’une part, qu’il a accompli en temps utile les diligences normales attendues d’un candidat pour le téléchargement de son offre et, d’autre part, que le fonctionnement de son équipement informatique était normal.
Au cas présent, un candidat avait déposé son pli à 9h32 le dernier jour du dépôt, fixé à midi. Il s’est aperçu seulement ensuite que trois annexes n’avaient pas été prises en compte lors du dépôt et a donc contesté le rejet de son offre. Le juge va rejeter sa requête en considérant qu’il n’avait pas été diligent, notamment en ne vérifiant pas l’accusé de dépôt généré par a plateforme, ce qui lui aurait permis de se rendre compte, dans les temps, de cette difficulté : « que l’article 9.1 du RC exigeait des candidats qu’ils tiennent compte des aléas électroniques et s’assurent des délais nécessaires à la transmission électronique de leur pli avant la date et l’heure limite de dépôt des offres, la société Koala Propreté a attendu 9 heures 32 le 24 avril 2023, jour limite de dépôt des offres à 12 heures, pour déposer la sienne. Il résulte également de l’instruction que la plateforme Maximilien de dépôt des offres a généré un accusé de réception des pièces produites, que la société Koala Propreté n’a pas consulté le jour même, ce qui lui aurait permis de constater que les annexes à ses pièces n’étaient pas complètes. Elle n’a donc pas accompli les diligences normales attendues d’un candidat pour assurer le dépôt intégral de son offre. Il ne résulte pas davantage de l’instruction, au vu notamment du compte rendu du support technique de la plateforme versé à l’instance par la commune de Meudon, que celle-ci aurait connu un dysfonctionnement le 24 avril 2023, alors par ailleurs que les autres candidats à l’attribution du marché litigieux n’ont rencontré aucune difficulté pour déposer leurs offres et procéder au téléchargement des pièces pertinentes versées à leur appui. Enfin, la société Koala Propreté ne justifie pas que les difficultés de téléchargement dont elle se prévaut ne seraient pas dus à ses propres dysfonctionnements internes. Dès lors, elle n’est pas fondée à soutenir que la procédure de passation du marché en litige révèle un manquement aux obligations de mise en concurrence ».
publié le 21 juillet 2023
Défaut de quorum au sein de la CAO : annulation de la procédure au stade de l’analyse des offres
TA Rennes, ord. 17 juillet 2023, Sté Sysco France, n°2303345
Dans le cadre des procédures formalisées, le choix du ou des titulaires est opéré par la CAO.
L’article L.1414-2 du CGCT dispose en effet que « pour les marchés publics passés selon une procédure formalisée dont la valeur estimée hors taxe prise individuellement est égale ou supérieure aux seuils européens qui figurent en annexe du code de la commande publique, à l’exception des marchés publics passés par les établissements publics sociaux ou médico-sociaux, le titulaire est choisi par une commission d’appel d’offres composée conformément aux dispositions de l’article L.1411-5 ».
Si cette étape de la procédure est très peu débattue devant le juge des référés précontractuels, le juge des référés du TA de Rennes vient d’annuler une procédure de passation au stade de l’analyse des offres pour défaut de quorum lors de la réunion de cette instance.
Le juge rappelle tout d’abord qu’en application de l’article L.1411-5 du CGCT, le quorum au sein de la CAO est atteint lorsque plus de la moitié des membres ayant voix délibérative sont présents. En l’espèce, le collège Beaumanoir a adressé, le 16 mai 2023, aux établissements adhérents du groupement d’achats la convocation à la réunion de la commission d’appel d’offres prévue le 12 juin 2023 qui a été amenée à examiner les offres et attribuer les marchés en litige, soit dans un délai suffisant pour leur permettre de siéger. Néanmoins, « il résulte des dispositions précitées que l’appréciation du respect de la condition de quorum s’effectue exclusivement au regard du nombre de membres effectivement présents, les membres représentés par un mandataire auquel ils ont donné une procuration ne comptant pas pour le calcul des présents. Il résulte de l’instruction, et notamment de la feuille d’émargement de la séance du 12 juin 2023 de la commission d’appel d’offres, que sur les 62 membres que comporte cette commission, seuls 21 étaient effectivement présents. Par suite, la société Sysco France est fondée à soutenir que la commission d’appel d’offres n’a pu valablement délibérer en l’absence de respect du quorum. Cette irrégularité constitue un manquement aux obligations de mise en concurrence qui, eu égard à sa nature a pu avoir une influence sur l’attribution des marchés litigieux et est, par suite, de nature à avoir lésé la société requérante pour l’ensemble des lots pour lesquels elle a déposé une offre.
L’acheteur devra donc reconvoquer une CAO, qui devra se prononcer en respectant cette fois-ci les règles de quorum. Il est d’ailleurs relativement probable que le résultat de la consultation soit identique à l’issue de cette nouvelle convocation, ce qui constituerait alors une victoire à la Pyrrhus pour le candidat évincé.
publié le 20 juillet 2023
Erreur du candidat sur le taux de TVA applicable : l’acheteur ne peut pas le rectifier de lui-même
TA Rennes, ord. 10 juillet 2023, Sté Guyot Environnement, n°2302971
La question de la TVA est une question qui revient régulièrement devant le juge des référés précontractuels.
En l’occurrence, un candidat avait rempli son DQE en HT et en TTC, avec un taux à 5,5 %. Dans le RAO, l’acheteur avait corrigé de lui-même le taux en le passant à 10 %. Une faute sanctionnée par le juge : « si le pouvoir adjudicateur n’est pas tenu d’inviter un candidat à préciser ou à compléter une offre irrégulière, il peut toutefois demander à un candidat des précisions sur son offre si celle-ci lui paraît ambiguë ou incertaine, ou l’inviter à rectifier ou à compléter cette offre sans que le candidat puisse alors en modifier la teneur. Il est en revanche interdit au pouvoir adjudicateur de modifier ou de rectifier de lui-même une offre incomplète, contradictoire ou ambigüe. Que le DQE devant être renseigné par les sociétés candidates imposait d’indiquer le montant des prix unitaires et total HT et TTC. Il ressort à cet égard du RAO que le montant de l’offre de la société Les Recycleurs Bretons, attributaire désigné, s’élevait à 436 304 euros HT et 460 300,72 euros TTC, avec un taux de TVA à 5,5 %, le pouvoir adjudicateur ayant indiqué en commentaire que sur le DQE, le candidat avait indiqué un taux de TVA à 10 %. Il est ainsi constant que le pouvoir adjudicateur a, d’office et de lui-même, rectifié l’offre de la société attributaire, en appliquant le taux de TVA réellement applicable aux prestations, alors même qu’une telle erreur, qui affecte l’un des éléments substantiels de l’offre, ne peut s’apparenter à une simple erreur matérielle et sans même, au demeurant, faire application de la procédure de rectification des erreurs purement matérielles prévues par le RC. Il résulte en outre de la présentation du RAO que le pouvoir adjutateur a procédé à cette rectification en prenant d’office comme point de référence le prix HT de l’offre de la société Les recycleurs Bretons, alors même que le devis quantitatif estimatif à renseigner imposait d’indiquer pour tous les prix, le montant HT et TTC, ce dernier montant restant au demeurant le seul montant de référence, pour le pouvoir adjudicateur, des sommes qu’il exposera réellement pour s’acquitter des prestations, et qu’aucun élément du dossier, pas davantage que de l’argumentation en défense, ne justifie des raisons pour lesquels la correction de la TVA n’a pas été faite en prenant comme point de référence le montant de l’offre TTC tel que renseigné par la société candidate. En tout état de cause, il résulte de ce qui a été dit au point 7 que le pouvoir adjudicateur ne pouvait procéder d’office et de lui-même à la rectification en cause, ne pouvant qu’inviter la société Les Recycleurs Bretons à préciser et régulariser son offre ».
publié le 19 juillet 2023
Marché signé mais non encore notifié : le référé précontractuel toujours recevable ?
TA Paris, ord. 10 juillet 2023, Sté Productions Chantaconia, n°2314668
On sait qu’en vertu d’une jurisprudence ancienne et absolument constante, la signature du marché par l’acheteur dessaisit le juge des référés précontractuels de ses pouvoirs.
Pourtant le TA de Paris, dans l’ordonnance commentée, semble considérer que c’est la notification du marché à son attributaire qui obligerait le juge à se dessaisir : « L’Université Paris-Cité soutient que la requête [introduite le 21 juin 2023] est irrecevable, en ce qu’à la date d’introduction de cette requête le marché litigieux aurait été conclu avec la société IKITIME, classée en première position à l’issue de l’examen des offres […] L’Université, par son mémoire enregistré le 6 juillet 2023 à 13 heures 35, soutient que l’acte d’engagement a été signé par les parties le 2 et le 17 mai 2023, cette dernière date étant, d’ailleurs, celle de la lettre par laquelle la société requérante a été informée du rejet de son offre. Elle précise, par ce même mémoire, que « cette circonstance pose à notre sens la question de la recevabilité de la saisine du juge du référé précontractuel ». Toutefois, l’Université ne rapporte pas à l’instance la preuve de la notification de la lettre d’engagement à la société attributaire, et il ne résulte d’aucune mention de la lettre du 17 mai 2023, informant la société requérante du rejet de son offre, que ce marché à la date d’envoi de cette lettre avait été conclu. A supposer, que ce marché était passé à la date du 17 mai 2023, cette circonstance révèlerait la méconnaissance par l’acheteur public des règles de l’article R. 2182-1 du code de la commande publique qui prévoit qu’un délai de onze jours ou de seize jours, en cas de recours à un autre mode de transmission que la voie électronique, doit être observé à compter de la date de notification de la décision de rejet de l’offre avant toute signature du contrat. Il résulte de ce qui précède que la fin de non-recevoir opposée par l’acheteur public ne peut qu’être rejetée ».
Position étonnante qui n’a toutefois pas de conséquence dès lors qu’in fine la requête est rejetée, le juge considérant que les moyens soulevés ne sont pas fondés.
publié le 18 juillet 2023
Régularisation des offres : l’absence de 2 onglets sur 3 dans un BPU sous Excel est régularisable
TA Grenoble, ord. 6 juillet 2023, Sté Allo greffes services, n°2303828
Depuis que la réglementation relative à la commande publique permet, sous certaines conditions, la régularisation des offres, se pose la question de savoir ce qui concrètement est ou non régularisable. L’ordonnance commentée ici en offre une belle illustration.
Dans cette affaire, le CHU de Grenoble avait mis en œuvre une procédure d’appel d’offres ouvert. Aux termes des pièces à remettre, les candidats devaient fournir un BPU sous Excel comprenant trois onglets, pour différents types de prix. Un candidat avait remis uniquement le premier onglet (cas relativement classique, surtout si l’on transforme le fichier Excel en PDF). Le CHU avait alors demandé la régularisation à ce candidat en lui demandant de fournir les deux onglets manquants.
Une telle demande est considérée comme régulière par le juge des référés « aux termes de l’article R.2151-2 dudit code : « Dans toutes les procédures, l’acheteur peut autoriser tous les soumissionnaires concernés à régulariser les offres irrégulières dans un délai approprié, à condition qu’elles ne soient pas anormalement basses. / La régularisation des offres irrégulières ne peut avoir pour effet d’en modifier des caractéristiques substantielles ». Ces dispositions visent à permettre de remédier à une non-conformité, en particulier une omission dans les pièces transmises, sans permettre une modification des caractéristiques substantielles de l’offre, qui serait de nature à fausser la concurrence. En l’espèce, l’omission de deux feuillets sur trois dans le fichier du BPU caractérise une offre incomplète au sens de l’article L.2152-2. Alors même qu’elle porte sur une caractéristique aussi essentielle que le prix, la rectification d’une telle erreur n’emporte pas de modification de l’offre au sens de l’article R.2151-2 et est ainsi susceptible d’être régularisée ainsi que l’avait initialement estimé à bon droit le CHU. Il en résulte que c’est à tort qu’il a ensuite rejeté l’offre, dûment complétée, comme irrégulière ».
Cette décision est toutefois à prendre avec du recul, car il n’est pas certain que tous les juges auraient tenu un raisonnement identique.
publié le 17 juillet 2023
Attribuer un 0 à une offre peut révéler une dénaturation, ce qui peut aussi rester sans conséquence
TA Cergy-Pontoise, ord. 3 juillet 2023, Sté UTB, n°2307968
L’Office public de l’habitat Vallée Sud Habitat avait mis en œuvre une procédure de passation pour conclure un marché de travaux. Dans ce cadre, il avait attribué à un candidat une note de 0/5 sur l’un des sous-critères, note correspondant selon le RC à une absence de réponse.
Or, il s’avère que cet élément était développé sur 5 pages dans le mémoire technique.
Le juge relève donc une dénaturation de cette offre, mais confirme le caractère inopérant du moyen, faute de toute lésion : « Il résulte de l’article 5.1 du règlement de consultation applicable, d’une part, qu’en application du sous-critère « insertion sociale », les candidats devaient détailler les mesures qu’ils proposaient pour garantir les 5 % d’emploi de personnes en difficulté prévus à l’article 7 du cahier des clauses administratives particulières et, d’autre part, que l’absence de réponse au besoin équivalait à 0 % de la note et qu’en cas de réponse, le pourcentage de la note oscillait entre 10 % et 100 % en fonction de la pertinence de l’offre du candidat en cause. En l’espèce, il est constant que la société Union Technique du Bâtiment a obtenu la note de 0 sur 5, correspondant à la note applicable en cas d’absence de réponse alors que la requérante fait valoir, sans être contredite, que son offre détaillait, sur cinq pages, les mesures d’insertion sociale qu’elle entendait mettre en œuvre dans le cadre du contrat. Dans ces conditions, la société requérante est fondée à soutenir qu’en lui attribuant la note de 0 sur 5 au titre de ce sous-critère, l’OPH a dénaturé son offre. Cependant, dès lors que l’écart de notation entre l’offre de la société attributaire et celle de la société requérante est que de 10,24 points, la dénaturation ici relevée a uniquement pu avoir pour effet de minorer la notation attribuée à cette dernière offre d’un maximum de 5 points, de sorte que cette dénaturation n’est pas susceptible d’avoir lésé la société Union Technique du Bâtiment. Par suite, le moyen invoqué doit être rejeté en raison de son inopérance ».
publié lee 13 juillet 2023
Signature précipitée + négos en appel d’offres = annulation du contrat en référé contractuel
TA Lille, ord. 26 juin 2023, Sté Méca Magnetic, n°2304937
On a l’habitude de dire que le référé contractuel n’est pas réellement efficace, en ce qu’il n’offre pas une « deuxième chance » au candidat évincé postérieurement à un référé précontractuel. Parfois néanmoins, cette procédure contentieuse révèle tout son efficacité.
Au cas présent l’école Centrale Lille Institut, avait mis en œuvre un appel d’offres ouvert pour un marché de fournitures. Un candidat évincé avait contesté son rejet dans le délai de stand still, mais avait appris en cours d’instance que le marché avait quand même été signé. Cette signature précipitée rendant recevable un référé contractuel : « il est constant que la société Ateliers Soudupin et l’école Centrale Lille Institut ont signé le marché litigieux avant l’expiration du délai de suspension prévue à l’article R.2182-1. Par cette signature prématurée, l’école Centrale Lille Institut a privé la société requérante de son droit de former utilement un référé précontractuel sur le fondement de l’article L.551-1 du CJA ».
En outre, l’acheteur avait négocié l’offre de l’attributaire, étape pourtant strictement interdite en appel d’offres ouvert : « en modifiant son offre initiale afin de tenir compte, de la demande du pouvoir adjudicateur formulée le 25 avril 2023 qui souhaitait connaître le coût de la prestation lorsque le système de bobines de compensation n’était qu’optionnel, et en proposant alors un simple blindage « passif » avec une possibilité d’installation ultérieure d’un système de blindage « actif », la société Ateliers Soudupin a apporté des modifications, au demeurant substantielles, à son offre, après la date de remise des offres en méconnaissance du principe d’intangibilité des offres s’imposant dans le cadre d’un procédure formalisée tel qu’il est défini par les dispositions de l’article R.2161-5 du code de la commande publique ainsi que du principe d’égalité de traitement entre les candidats. Une telle modification de l’offre de la société attributaire postérieure à la date de remise des offres ne relève pas des hypothèses dans lesquelles les candidats sont autorisés à apporter des corrections à leur offre après une demande du pouvoir adjudicateur de fournir de précisions ou des éclaircissements sur la teneur de celle-ci, ni même au stade de la mise au point au marché. La circonstance que le règlement de consultation ait prévu que le pouvoir adjudicateur se réservait la faculté de négocier est en outre sans incidence sur le caractère irrégulier de la procédure de mise en concurrence en litige, dès lors qu’une procédure d’appel d’offres ouvert interdit toute possibilité de négociation, y compris lorsque le pouvoir adjudicateur, sous couvert de demande de précisions de la teneur des offres, incite les candidats, non pas à préciser lesdites offres, mais à les faire évoluer substantiellement. Dans ces conditions, l’offre de la société Ateliers Soudupin aurait dû être éliminée ».
Le candidat évincé ayant été classé en deuxième position, ce manquement affectait donc les chances de l’auteur du recours d’obtenir le contrat au sens de l’article L.551-18 du CJA. Or, dans une telle hypothèse, le juge est tenu de prononcer la nullité du contrat, ce qu’il fait au cas présent dans son dispositif.
publié le 12 juillet 2023
Avis du CSTB exigé au stade de l’offre : attention aux risques d’annulation !
TA Rennes, ord. 28 juin 2023, Sté Access BTP, n°2302951
Le département du Morbihan avait souhaité réaliser des travaux relatifs au traitement des fondations d’un collège.
A cette fin, il avait exigé que les candidats fournissent, à l’appui de leur offre, un avis du CSTB visant à permettre à l’acheteur de s’assurer de leur aptitude à réaliser le traitement des sols d’assise sous fondations par injection de résine expansive.
L’un des candidats, dont l’offre a été jugée irrégulière pour plusieurs non-respects des prescriptions du DCE, attaquait la procédure de passation notamment sur ce point. Le juge va lui donner raison sur cet aspect précis, sans toutefois annuler la procédure compte tenu des autres irrégularités de l’offre : « aux termes de l’article R.2151-14 du code de la commande publique « dans les documents de la consultation, l’acheteur peut exiger que les soumissionnaires fournissent, comme moyen de preuve de la conformité aux spécifications techniques, aux critères d’attribution ou aux conditions d’exécution du marché, un rapport d’essai d’un organisme d’évaluation de la conformité accrédité, conformément au règlement (CE) n°765/2008 du Parlement européen et du Conseil du 9 juillet 2008 fixant les prescriptions relatives à l’accréditation et à la surveillance du marché pour la commercialisation des produits et abrogeant le règlement (CEE) n°339/93 du Conseil, ou un certificat délivré par un tel organisme. Lorsqu’il exige un certificat établi par un organisme d’évaluation identifié, il accepte un certificat établi par un organisme équivalent. /Lorsqu’un opérateur économique n’a pas accès aux certificats ou aux rapports d’essai mentionnés à l’alinéa précédent ni la possibilité de les obtenir dans les délais fixés par l’acheteur, ce dernier accepte d’autres moyens de preuve appropriés ». Il résulte de l’instruction qu’au titre de la qualification des intervenants, le département a imposé que « l’entreprise mandataire devra se prévaloir d’un avis technique du CSTB en cours de validité sur le procédé mis en œuvre », sans comporter la mention « ou d’un organisme équivalent ». S’il apparaît nécessaire que le département du Morbihan puisse s’assurer de la qualité de la résine proposée eu égard à l’objet du marché, une telle omission a eu nécessairement pour effet de favoriser certains acteurs du secteur du marché litigieux, dont la société attributaire et d’en exclure d’autres, la société Access BTP soutenant, sans être sérieusement contredite, que la procédure pour obtenir un tel avis est particulièrement longue et incompatible avec les délais de remise des offres. Le département a ainsi manqué à ses obligations de publicité et de mise en concurrence. Toutefois, outre qu’il résulte de l’instruction que la société Access BTP ne disposait, pour la résine qu’elle a proposée, ni d’un avis technique du centre scientifique et technique du bâtiment ni même d’un avis de conformité équivalent, la certification Qualibat qu’elle a présentée au titre de son activité ne pouvant tenir lieu d’un tel avis, son offre était, ainsi qu’il a été dit, irrégulière pour les deux motifs exposés aux points 9 et 11. Dans ces conditions, le manquement relevé a été insusceptible de l’avoir lésée ».
publié le 11 juillet 2023
Fixation d’un nombre maximum de pages du mémoire technique : un dépassement entraîne-t-il l’irrégularité de l’offre ?
TA Grenoble, ord. 19 juin 2023, Sté SLTP, n°2303320
Malheureusement, la réponse donnée par cette ordonnance à cette question d’une grande importance n’est pas évidente.
Au cas présent, le règlement de consultation imposait aux candidats de fournir un mémoire technique de 20 pages maximum. La société requérante, qui avait vu son offre analysée et classée, attaquait son rejet sur le fondement de la dénaturation. En défense, l’acheteur soulevait l’irrégularité de cette offre, au motif que le mémoire technique de ce candidat faisait 84 pages, et ne respectait donc pas l’exigence fixée au RC.
Le juge va toutefois rejeter ce moyen de défense, au motif que « le fait que la société requérante a fourni un mémoire technique de 84 pages ne lui a offert aucun avantage par rapport à ses concurrentes, alors que son offre a été classée en cinquième position, et n’a ainsi pas porté atteinte à l’égalité de traitement entre les candidats. Par suite, l’EPFL du Dauphiné n’est pas fondé à faire valoir que l’offre de la société SLTP était irrégulière pour ce motif ».
Si le juge refuse donc de juger irrégulière une offre dépassant le nombre maximum de pages d’un mémoire technique, c’est essentiellement en raison du fait qu’en l’espèce, l’offre avait été mal cassée.
Mais qu’en aurait-il été si cette offre avait été déclarée attributaire ? Ou encore si elle avait été rejetée pour ce motif sans analyse ?
A ces questions, d’importance pratique évidente pour les acheteurs et les soumissionnaires, la jurisprudence n’a pas encore apporté de réponses tranchées.
publié le 22 juin 2023
Petit rappel utile : pas de contrat de la commande publique, pas de référé
TA Rouen, ord. 16 juin 2023, Sté Primavista, n°2302077
Il est toujours bon de rappeler que le référé précontractuel ne peut être intenté que contre les contrats de la commande publique. Les simples contrats d’occupation du domaine public, qui ne rentrent pas (sauf requalification) dans cette catégorie, ne ressortent donc pas de l’office du juge des référés précontractuels, comme l’illustre cette ordonnance. Un centre hospitalier avait lancé une procédure pour la conclusion d’une « concession de services » relative à des prestations photographiques des parents et de leurs nouveaux nés lors de leur séjour en maternité. Un candidat évincé contestait le résultat de cette procédure, mais la juge va requalifier ce contrat en simple convention d’occupation du domaine public et décliner sa compétence : « que la convention envisagée par le centre hospitalier universitaire de Rouen Normandie permet à son titulaire d’occuper le domaine public hospitalier et d’exploiter, en contrepartie du versement au centre hospitalier d’une redevance, une activité économique de photographie proposée aux parents des nouveaux nés, cette autorisation étant assortie de prescriptions tenant au respect des locaux et de la mission de l’établissement public. La convention n’a pas pour objet de confier au cocontractant la gestion d’un service public mais seulement l’exploitation d’un service commercial dans des conditions compatibles avec la destination et le fonctionnement du service public hospitalier. En outre, la convention n’emporte aucune contrainte, sujétion ou procédure de contrôle particulière pour ce qui concerne l’organisation et le fonctionnement de l’activité commerciale de photographie. Enfin le concessionnaire est rémunéré par ses clients selon le tarif qu’il a lui-même fixé et exerce son activité dans des conditions concurrentielles et la personne publique ne verse aucun prix au concessionnaire, ni droit d’exploitation. Dans ces conditions, la convention en litige, qui n’a pour objet ni la délégation d’un service public ni l’exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d’exploitation mais constitue une convention d’occupation du domaine public, n’est pas au nombre des contrats mentionnés à l’article L. 551-1 du code de justice administrative à l’égard desquels le juge du référé précontractuel peut prendre les mesures définies à l’article L. 551-2 de ce code. Par suite, alors même que le centre hospitalier universitaire s’est soumis à la procédure prévue à l’article L. 2122-1-1 du code général de la propriété des personnes publiques intégrant une mise en concurrence, le juge des référés précontractuels n’est pas compétent pour statuer sur la demande présentée par la société ».
Gageons que dans un futur plus ou moins lointain, ces contrats pourront faire l’objet d’un tel référé, compte tenu des évolutions récentes sur la mise en concurrence des occupations du domaine public.
publié lee 19 juin 2023
Jury de concours : attention à la levée de l’anonymat et à la transmission d’informations confidentielles !
TA Nancy, ord. 5 juin 2023, Sté Chatillon Architectes, n°2301478
Les référés précontractuels sur des procédures de concours sont relativement rares et pour cette seule raison cette ordonnance mérite d’être soulignée. Mais elle apporte également de très intéressantes précisions sur la manière doit se dérouler un jury de concours, et ce que ce dernier ne doit surtout pas faire. Dans cette affaire, le jury avait classé les projets étudiés anonymement, mais avait ensuite demandé aux candidats, après avoir levé l’anonymat, de modifier substantiellement leur projet. Ces modifications avaient donné lieu à un second vote, sur des projets non anonymisés, et une inversion de classemement.
Après avoir rappelé les dispositions du code de la commande publique sur le jury de concours, et plus particulièrement l’article R.2162-18, le juge des référés considère qu’« il résulte implicitement mais nécessairement de ces dispositions, appuyées par le règlement de concours, que la levée de l’anonymat met un terme à la possibilité pour le jury de modifier le classement des projets tel que celui-ci ressort de son procès-verbal. Si le jury conserve la possibilité de conduire un dialogue avec les candidats sur la base de questions qu’il consigne, celles-ci ont pour seul objet d’éclairer le choix de l’acheteur au regard des clarifications précitées. Un tel dialogue ne peut en revanche provoquer une rupture d’égalité entre les concurrents en permettant à l’un d’entre eux de modifier de manière substantielle son offre […] Dès lors, la société requérante est fondée à soutenir qu’en conduisant le dialogue et en procédant à un nouveau classement des projets sur la base d’éléments excédants les limites de ses besoins de clarification, après avoir levé l’anonymat, la communauté d’agglomération a provoqué une rupture d’égalité entre les concurrents ».
L’ordonnance sanctionne également logiquement le fait d’avoir communiqué aux candidats les éléments graphiques de chacun des projets afin que les candidats puissent « défendre leur projet » par rapport aux autres. Intention certainement louable, mais bien évidemment illégale : « l’ensemble des candidats a eu connaissance des éléments graphiques des projets des autres candidats, la pièce graphique contenue dans chacune ayant été communiquée afin que les candidats puissent « défendre leur projet » devant l’assemblée à l’occasion d’une séance programmée le 13 décembre 2022. Il résulte par ailleurs de l’instruction que la société Coulon et associés a présenté au cours de cette séance des éléments graphiques et architecturaux modifiés, malgré l’interdiction faite aux candidats, rappelée dans ce courrier du 7 novembre 2022, de présenter tout support ou document ne figurant pas dans les offres initiales. Enfin, les éléments graphiques modifiés présentés par la société Coulon et associés semblent s’inspirer des choix esthétiques réalisés dans le projet de la société requérante, initialement classée en première position dans le procès-verbal précité du 13 juillet 2022. Dans ces conditions, la société requérante est fondée à soutenir que l’acheteur a communiqué à la société Coulon et associés des documents susceptibles de nuire à une concurrence loyale entre les opérateurs économiques et ainsi susceptible de la léser ».
publié le 14 juin 2023
Est irrégulier le RAO qui se borne à vérifier la conformité des offres sans effectuer aucune appréciation
TA Lille, ord. 6 juin 2023, Sté Rabot Dutilleul Construction, n°2304098
Bien souvent, l’attribution de notes identiques figurant dans une lettre de rejet donne envie à des candidats évincés de contester a procédure de passation à laquelle ils ont participé, et ces derniers mettent en avant dans cette hypothèse la neutralisation des critères qui en résultent. Mais un tel moyen est très souvent rejeté, le juge considérant que le fait d’attribuer des notes identiques ne constitue pas, en soi, la preuve d’une neutralisation. Sauf quand le RAO laisse apparaitre l’inverse, comme en l’espèce. Dans cette affaire, le juge va en effet relever que les notes maximales avaient été attribuées sur 17 des 18 sous critères de la valeur technique avec des commentaires uniquement liés à la conformité des offres, sans appréciation. Dans ces conditions, le neutralisation du critère technique est avéré et la procédure annulée au stade de l’analyse de offres, à reprendre par l’acheteur : « il est constant que la société Rabot Dutilleul Construction et la société Voirie Assainissement Travaux Publics ont, sur 17 des 18 sous-critères des critères d’attribution autres que celui du prix, obtenu la même note, à savoir la note maximale, seul le onzième sous-critère du critère de la valeur technique ayant donné lieu à une notation différente. Il résulte de l’extrait du tableau de synthèse des appréciations portée par le CIG sur les offres présentées par ces deux sociétés que, sur chacun de ces mêmes sous-critères, ces appréciations sont, pour l’essentiel, identiques. Il résulte également de la teneur même de ces appréciations que le CIG s’est borné à vérifier que les deux sociétés candidates ont présenté une offre conforme en tous points au RC. En effet, selon ces appréciations, ces sociétés ont, chacune, soit « décrit », soit « fourni », soit « mentionné », soit « mis en place », soit « présenté », soit « développé » les éléments exigés. À titre d’exemple, en ce qui concerne le sous-critère 2-3 du critère de la valeur technique (« Moyens humains internes à l’entreprise affectés à l’opération »), l’appréciation identique portée sur chacune des deux offres est la suivante : « L’entreprise fournit son organigramme et le personnel qui sera affecté en chantier », sans aucune mention relative au nombre d’agents affectés et à leur degré de compétences. De même, en ce qui concerne le sous-critère 2-4 (« Moyens en matériel propres à l’entreprise affectés au chantier »), l’appréciation portée sur l’offre présentée par la société Voirie Assainissement Travaux Publics est la suivante : « La liste du matériel affecté au chantier pour les différents ouvrages est fournie », tandis que l’appréciation portée sur l’offre présentée par la société Rabot Dutilleul Construction est celle-ci : « L’entreprise fournit la liste du matériel qui sera affecté au chantier », sans aucune prise en compte de l’importance et de la qualité du matériel affecté au chantier.
Ainsi, l’attribution de notes identiques à la société Rabot Dutilleul Construction et à la société Voirie Assainissement Travaux Publics sur 17 des 18 sous-critères des critères d’attribution autres que celui du prix ne peut être regardée comme procédant de ce que leurs offres auraient été jugées identiques. Ces notes identiques et les mentions littérales les justifiant révèlent, en l’absence de toute appréciation effective de la valeur des offres sur ces sous-critères, que le CIG a neutralisé les critères d’attribution autres que celui du prix, et, ce faisant, manqué à ses obligations de publicité et de mise en concurrence. Ce manquement est susceptible d’avoir lésé la société dès lors qu’il ne saurait être exclu que, si ces critères n’avaient pas été neutralisés, son offre aurait été classée première dans la mesure où, s’agissant du critère du prix, elle a par ailleurs obtenu la note de 58,5/60, et, s’agissant des critères de la valeur environnementale et du processus BIM, la note maximale de 5/5 ».
publié le 12 juin 2023
Terrains de tennis du jardin du Luxembourg : la double faute du Sénat
TA Paris, ord. 8 juin 2023, Sté Paris Tennis, n°2309069
En plein Roland-Garros et après la résiliation d’une première convention conclue sans mise en concurrence par le Conseil d’Etat en décembre 2022 (n°455033), le juge des référés précontractuels du TA de Paris a annulé la procédure de passation lancée par le Sénat, au motif que ce dernier n’a pas prévu des modalités d’examen des offres garantissant l’égalité de traitement des candidats et la transparence de la procédure.
Le juge rappelle tout d’abord que la personne publique doit apporter aux candidats à l’attribution d’une concession, avant le dépôt de leurs offres, une information suffisante sur la nature et l’étendue des besoins à satisfaire et indiquer aux candidats les caractéristiques essentielles de la concession. Il relève, ensuite, s’agissant du l’organisation de l’enseignement du tennis, que les candidats étaient autorisés à choisir entre la location de l’ensemble des créneaux à des tiers, l’utilisation de ces créneaux par leur propre école de tennis ou bien une organisation mixte avec l’utilisation d’une partie des créneaux par leur école de tennis et la location des créneaux restants à des tiers. Or, ce choix offert aux candidats sur l’organisation de l’enseignement du tennis ne leur permettait pas de présenter des offres comparables au regard des trois critères de jugement des offres définis par le pouvoir adjudicateur dans le règlement de la consultation, soit l’intérêt du projet pour le Jardin du Luxembourg et les usagers des terrains de tennis, la robustesse de l’offre financière et la qualité de l’organisation de l’exploitation. Le tribunal en conclut qu’en laissant aux candidats un tel choix sur l’organisation de l’enseignement du tennis, le Sénat n’a pas prévu des modalités d’examen des offres garantissant l’égalité de traitement des candidats et la transparence de la procédure et annule, par voie de conséquence, la procédure de passation de la concession.
publié le 8 juin 2023
Décider de déposer son offre le plus tardivement possible : une bien mauvaise idée
TA Marseille, ord.1er juin 2023, Sté société LDS concept, n°2304811
Dans le cadre de la procédure de passation de la concession portant sur l’organisation des spectacles taurins et traditionnels dans les arènes de la ville d’Arles, un candidat, bien qu’ayant selon ses propres dires, élaboré ses pièces de candidature et d’offre depuis longtemps, a néanmoins pris la décision de déposer son offre le plus tardivement possible (peut être pour éviter d’éventuelles fuites de son offre).
Et il s’est trouvé qu’à la suite d’un problème informatique, il n’a pu finaliser son dépôt qu’à 16h01 pour une heure limite fixée à 16h.
Le juge des référés rappelle tout d’abord que « s’il résulte des dispositions combinées des articles R. 3123-14 et R. 3123-21 du code de la commande publique que les candidatures présentées hors du délai fixé par l’autorité concédante ne peuvent participer à la suite de la procédure de passation du contrat de concession, cette autorité ne saurait toutefois rejeter une candidature remise par voie électronique comme tardive lorsque le candidat, qui n’a pu déposer celle-ci dans le délai sur le réseau informatique mentionné à l’article R. 3122-15 du même code, établit, d’une part, qu’il a accompli en temps utile les diligences normales attendues d’un opérateur économique pour le téléchargement de sa candidature et, d’autre part, que le fonctionnement de son équipement informatique était normal » appliquant en cela aux concessions le considérant de principe dégagé par le Conseil d’Etat pour les marchés publics.
Puis il juge que la ville a eu raison de rejeter son offre comme tardive dès lors qu’« il résulte de l’instruction que, lors du dépôt de son dossier de candidature sur le site internet prévu par le règlement de la consultation, la société LDS concept s’est trouvée dans l’impossibilité de sélectionner les fichiers à télécharger, et s’est vue dans l’obligation de recommencer la procédure de dépôt de son dossier à partir d’un ordinateur différent, le dépôt du dossier n’étant achevé qu’à 16h01, au-delà du délai prévu par le règlement de la consultation. Alors que les documents de candidatures et l’offre de la société LDS concept étaient achevés longtemps avant la date limite de dépôt des candidatures, selon les déclarations de la société elle-même, celle-ci a pris la décision de déposer son offre le plus tardivement possible et ne s’est connectée au site sur lequel le dossier devait être déposé que « vers 15h20 » selon les termes du constat d’huissier, qu’à 15h27 selon le bordereau de contrôle d’un pli dématérialisé produit par la société requérante. Dans ces conditions elle n’établit pas avoir accompli en temps utiles les diligences normales pour le téléchargement de sa candidature ».
publié le 8 juin 2023
Erreur de dépôt sur la plateforme : pas d’obligation de rattrapage pour l’acheteur
CE, 1er juin 2023, Communauté d’agglomération de la région de Château Thierry n°469127
Le conseil d’Etat vient d’infirmer la « solution audacieuse » (comme nous l’avions qualifiée) du TA d’Amiens qui avait sanctionné un acheteur pour ne pas avoir rattrapé une erreur de dépôt d’un pli sur une plateforme de dématérialisation (voir TA Amiens, ord. 8 novembre 2022, Sté RVM, n°2203116 commentée sur ce site). Cette solution, que nous avions trouvé « discutable juridiquement », vient d’être sanctionnée par la Haute Assemblée au motif qu’« aucune disposition ni aucun principe n’impose au pouvoir adjudicateur d’informer un candidat que son offre a été déposée dans le cadre d’une autre consultation que celle à laquelle il voulait postuler et, d’autre part, il ne peut rectifier de lui-même l’erreur de dépôt ainsi commise, sauf dans l’hypothèse où il serait établi que cette erreur résulterait d’un dysfonctionnement de la plateforme de l’acheteur public. Par suite, le juge des référés du tribunal administratif d’Amiens a entaché son ordonnance d’une erreur de droit en estimant que la communauté d’agglomération de la région de Château-Thierry avait dans ces conditions manqué à ses obligations de mise en concurrence ».
Il en résulte qu’en présence d’une erreur de « tiroir numérique » (offre déposée au mauvais endroit), le pouvoir adjudicateur a toujours la faculté d’inviter le candidat à régulariser son offre, mais il n’en a jamais l’obligation. Une telle solution est, selon le rapporteur public, équilibrée, dès lors qu’elle permet en pratique de repêcher des candidatures et des offres qu’il serait dommage de condamner du seul fait d’une erreur d’inattention, sans pour autant faire peser sur les personnes publiques le poids d’une obligation difficile à satisfaire en pratique.
publié le 5 juin 2023
Offre avec prix négatif : parfois ça marche
TA Pau, ord.15 mai 2023, Sté Aspir Adour, n°2301026
On sait que, traditionnellement, les méthodes de notation aboutissant à des prix négatifs sont considérées comme irrégulières.
Mais pour certains marchés, les offres de prix négatifs peuvent cependant être valablement proposées. Au cas présent, il s’agissait d’un marché public de travaux portant sur les travaux préliminaires à l’aménagement d’une voie verte.
Concrètement, l’attributaire devrait procéder à la dépose des rails et des traverses d’une ancienne voie ferrée sur une longueur d’environ trente kilomètres, ce qui implique le démantèlement, selon les indications du cahier des charges, d’une quantité de 3.073 tonnes de rails et autres produits ferreux et d’une quantité de 1.865 tonnes de traverses en bois. Selon le même document, les travaux consistent à démonter, évacuer et valoriser ou éliminer l’ensemble de ces matériaux, étant précisé que la valorisation concerne principalement les matériaux ferreux destinés à être vendus et, par suite, à procurer des recettes à l’attributaire du marché.
Après avoir posé en principe qu’il « appartient au juge du référé précontractuel de vérifier que les critères de sélection des offres ne sont pas, au regard des documents constitutifs de la consultation et du déroulement de cette dernière, affectés d’incertitudes et d’ambiguïtés résultant d’imprécisions ou de contradictions, en méconnaissance de l’obligation de transparence qui incombe au pouvoir adjudicateur », le juge vérifie que le critère prix est en l’espèce conforme à cette règle.
Dès lors, selon lui, « les candidats établissent nécessairement le prix de leur offre en fonction des recettes issues de la valorisation d’une grande quantité de matériaux, déduction faite des coûts des travaux de dépose de la voie ferrée. Un prix nul ou un prix négatif – consistant à reverser une partie des recettes de valorisation – est une hypothèse logique et constitutive de ce type de marchés de travaux. Il s’ensuit que les candidats, clairement informés de la nature des travaux et des volumes des matériaux à valoriser étaient, sans ambiguïté, mis à même de comprendre que le prix des travaux pouvait conduire à un prix intermédiaire, voire global, nul ou négatif. Dans ces conditions, en indiquant pas explicitement dans les documents de la consultation l’éventualité d’un prix nul ou négatif, le département des Landes n’a pas méconnu le principe de transparence de la commande publique ni le principe d’égalité de traitement des candidats ».
publié le 22 mai 2023
Attribution provisoire et demande des certificats sociaux et fiscaux : attention à bien respecter cette étape, sous peine d’annulation totale
TA Strasbourg, ord. 9 mai 2023, Monsieur B., n°2302706
La ville de Strasbourg avait mis en œuvre une procédure avec négociation en vue de la passation d’un marché de maîtrise d’œuvre ayant pour objet la restauration d’une église.
A l’issue de l’analyse, elle avait attribué provisoirement le marché à un groupement, qui avait remis dès le stade de la candidature ses certificats sociaux et fiscaux. Mais compte-tenu du délai de la procédure, ces derniers n’étaient plus valables lorsque le marché lui avait été attribué et la commune n’avait pas redemandé des certificats à jour. Cette omission va entrainer l’annulation de la procédure dès l’origine, le juge considérant assez sévèrement que ce manquement ne peut pas être réparé à un stade ultérieur :
« aux termes de l’article 8.2 du RC : « L’offre la mieux classée sera donc retenue à titre provisoire en attendant que le ou les candidats produisent les certificats et attestations des articles R.2143-6 à R.2143-10 du code de la commande publique. Le délai imparti pour remettre ces documents ne pourra être supérieur à 6 jours. A défaut, le candidat classé immédiatement après sera sollicité pour produire les documents nécessaires à l’attribution de l’accord cadre et visés à l’article R.2144-7 dudit code ». Il résulte de ces dispositions que le marché ne peut être attribué au candidat ayant présenté l’offre la mieux classée sans qu’il ait préalablement, pendant la période d’attente où cette offre n’est retenue qu’à titre provisoire, et dans le délai maximal de six jours que lui a imparti l’acheteur à cette fin, remis l’ensemble des certificats et attestations prévus par les articles R.2143-6 à R.2143-10 du code de la commande publique. A défaut, l’acheteur est tenu d’éliminer le candidat ayant présenté l’offre la mieux classée. Il ne peut en aller autrement que si l’ensemble des éléments ont déjà été remis antérieurement à l’acheteur et sous réserve qu’ils soient encore tous valables à la date de la décision d’attribution.
La commune fait valoir que l’ensemble des certificats et attestations ont été remis par le groupement attributaire dès le stade de sa candidature. Toutefois, et en particulier, la durée de validité des attestations de fourniture des déclarations sociales et de paiement des cotisations et contributions sociales que chacun des membres du groupement attributaire devait produire conformément à l’article R.2143-8 du code de la commande publique précité est, en vertu de l’article D.8222-5 du code du travail, limitée à six mois. Les attestations que le groupement a fournies au stade de sa candidature ayant été établies entre le 10 mai et le 22 août 2022, elles n’étaient plus toutes valables le 2 février 2023, date à laquelle, selon les propres déclarations de la commune, la commission d’appels d’offres a procédé à l’attribution du marché. Par suite, le marché ne pouvait pas lui être attribué sans qu’à tout le moins il ait avant cette date, et dans le délai prévu par l’article 8.2 précité, remis à la commune, pour chacun de ses membres, de nouvelles attestations de fourniture des déclarations sociales et de paiement des cotisations et contributions sociales en cours de validité. La méconnaissance de l’article 8.2 du RC fait obstacle à ce que le marché lui soit attribué. Sauf à priver d’effet les dispositions de l’article 8.2, qui plus est en portant atteinte au principe d’égalité de traitement des candidats, ce manquement ne saurait être corrigé dans le cadre de la procédure de passation en litige. Le marché ne peut donc plus être attribué au candidat ayant présenté la meilleure offre et les dispositions de l’article L.2152-7 du code de la commande publique interdisent qu’il le soit à un candidat n’ayant pas présenté la meilleure offre. Il en résulte que la commune ne peut pas poursuivre la procédure de passation en litige en respectant ses obligations de mise en concurrence qui lui imposent, notamment, d’attribuer le marché au soumissionnaire qui a présenté l’offre économiquement la plus avantageuse. Il s’ensuit que cette procédure, bien qu’elle n’ait fourché qu’au stade de l’attribution du marché, doit être annulée dans sa totalité ».
publié le 11 mai 2023
Informer les candidats que le RC est modifié sans le modifier effectivement ne suffit pas
TA Martinique, ord. 21 avril 2023, Sté ANTEA France, n°2300198
Dans cette affaire, une collectivité avait mis en œuvre une procédure de passation pour attribuer deux lots d’un marché de travaux, prévoyant dans l’avis de marché et le RC qu’« un seul lot sera attribué par opérateur économique, ceci dans le but d’assurer la disponibilité optimale du titulaire retenu sur ledit lot ».
Un avis rectificatif avait modifié cette information du seul avis de marché initial, et une deuxième version du DCE avait été mis en ligne. Le RC était resté inchangé, mais une note d’information accompagnait cette nouvelle version du DCE. Cette note d’information indiquait aux candidats que la rubrique « cumul de lots », laquelle énonce la règle de limitation à un lot maximum pouvant être attribué à un même opérateur, était supprimée du règlement de consultation commun aux lots 1 et 2. Le juge relève que « toutefois, il résulte de l’instruction que l’article 2 du règlement de consultation est demeuré inchangé, d’une part, en ce qui concerne la rubrique « cumul de lots » et, d’autre part, en ce qui concerne la rubrique « dossier de consultation » en n’intégrant pas la note d’information à la liste énumérative et exhaustive des pièces constitutives du dossier de consultation. Dès lors, à défaut de modification non équivoque du règlement de consultation s’agissant des modalités d’attribution des lots, et ainsi que le fait valoir la société requérante dans ses écritures, l’avis de marché rectificatif en date du 31 décembre 2023 n’a pas eu pour effet de modifier le règlement de la consultation, dont la collectivité était tenue de respecter les mentions ».
Dès lors, selon le magistrat « à défaut de modification non équivoque du règlement de consultation publié le 21 décembre 2022, s’agissant des modalités d’attribution des lots, le pouvoir adjudicateur était tenu de respecter les mentions de ce règlement. En attribuant les deux lots du marché en litige à la société Ginger Geode, la communauté d’agglomération du centre de la Martinique a commis un manquement aux obligations de publicité et mise en concurrence qui s’imposent au pouvoir adjudicateur. Ce manquement a été susceptible de léser la société Antea France, classée en deuxième position au terme de l’analyse des offres, qui, si le pouvoir adjudicateur avait respecté la règle définie selon laquelle un même attributaire ne peut se voir attribuer qu’un seul lot, aurait pu remporter l’un des lots du marché. A supposer même, comme l’invoque la collectivité pour la première fois devant le juge des référés, que l’irrégularité de l’offre de la société Antea soit établie, ce manquement était néanmoins susceptible de la léser en la privant du bénéfice d’une nouvelle procédure de passation. Enfin, la circonstance que la société Antea France n’a pas sollicité d’informations complémentaires ainsi que le permettait l’article 5 du règlement de consultation, ne saurait la priver de la possibilité d’invoquer ce manquement ».
Si cette décision peut paraître, à première vue sévère pour l’acheteur (l’info ayant été globalement communiquée aux candidats) on ne peut que saluer l’application souple de la lésion par le juge.
publié le 26 avril 2023
Quand une demande de précision…est en réalité une négociation illégale
TA Strasbourg, ord. 20 avril 2023, Sté GCM, n°2302128
On sait que dans le cadre d’un appel d’offres, l’acheteur ne peut pas négocier avec les soumissionnaires. Il lui est seulement possible de leur demander de préciser la teneur de leur offre si celle-ci lui paraît ambiguë ou incertaine, ou l’inviter à rectifier ou à compléter cette offre. Toutefois, le candidat ne peut alors en modifier la teneur (article R.2162-2 du code e la commande publique).
Au cas d’espèce, la collectivité européenne d’Alsace avait lancé une procédure d’appel d’offres ayant pour objet la réalisation de travaux de terrassements, d’assainissement et de chaussées. Or, par un courrier transmis à un candidat (finalement déclaré attributaire) en cours de procédure, la collectivité lui avait demandé d’indiquer « pour chaque cas les moyens que vous prévoyez de mobiliser pour pallier ce risque [de dérive des travaux] et les incidences prévisibles sur le montant de votre offre ». Le magistrat relève à cet égard qu’« il résulte de la formulation même d’une telle question que l’évaluation du risque de dérive des travaux, dans l’offre initiale, ne mentionnait ni les moyens susceptibles d’être mobilisés, ni les conséquences sur le montant de l’offre. Par suite, ces moyens supplémentaires et ce surcoût n’étaient pas prévus dans l’offre remise au pouvoir adjudicateur, de sorte que cette demande s’analyse, en réalité, non comme une demande tendant à faire préciser des éléments déjà existants, mais comme une demande qui ne pouvait qu’avoir comme effet de conduire la société ADAM TP à rajouter de nouveaux éléments techniques et financiers, et donc à modifier la teneur de son offre, en méconnaissance de l’article R.2161-2 du code de la commande publique. La société GCM est dès lors fondée à soutenir que la demande adressée à la société ADAM TP était irrégulière ».
Le juge relève par ailleurs que cette demande était susceptible d’améliorer la notation de la société attributaire au regard des différents critères de choix et donc susceptible de léser le candidat évincé requérant. La procédure est donc annulée au stade de l’analyse des offres.
Les acteurs doivent donc faire particulièrement attention lorsqu’ils souhaitent faire préciser une offre en procédure formalisée, et ne pas violer la frontière de la négociation interdite.
publié le 24 avril 2023
Calcul de TVA : petite erreur, grosse conséquence
TA Nîmes, ord. 17 avril 2023, SARL CPU, n°2301120
Qui n’a jamais fait d’erreurs de calcul ? Malheureusement pas ce candidat évincé, qui avait commis une erreur de calcul de TVA dans son DQE servant à comparer les offres financières.
Plaidant la bonne foi et l’erreur purement matérielle, il a contesté son rejet pour irrégularité.
Il est vrai que la position de l’acheteur peut être regardé comme sévère. Mais le juge va valider ce rejet, en considérant « qu'il est interdit au pouvoir adjudicateur de modifier ou de rectifier lui-même une offre incomplète, comme telle irrégulière. Si le pouvoir adjudicateur n'est pas tenu d'inviter un candidat à préciser ou à compléter une offre irrégulière, il peut toutefois demander à un candidat des précisions sur son offre si celle-ci lui paraît ambiguë ou incertaine, ou l'inviter à rectifier ou à compléter cette offre sans que le candidat puisse alors en modifier la teneur. Il résulte de l'instruction que le DQE imposait le calcul d'un montant total Toutes Taxes Comprises (TTC). Il est constant que l'offre de la SARL CPU comprend une erreur de calcul de TVA dans le DQE, ainsi que le reconnaît d'ailleurs la société requérante. Par suite, et dès lors que la collectivité publique n'est jamais tenue de faire régulariser une offre, et qu'en l'espèce, les renseignements sollicités, dont la carence est constatée, sont nécessaires à l'appréciation des offres, c'est à bon droit que l'offre de la SARL CPU a été écartée comme irrégulière par le département du Gard. Par suite, le seul moyen soulevé par la société requérante dans ses écritures doit être écarté ».
Si les acheteurs veulent faire adhérer les entreprises à la commande publique et leur donner envie de répondre plus souvent (diversité de réponses pour l’acheteur, concurrence plus saine – bref que des avantages a priori) peut être faudrait-il commencer par user des quelques facilités offertes par le code et éviter une trop grande rigidité, comme en l’espèce….
publié le 19 avril 2023
Un EPIC de l’Etat qui oublie une clause de révision des prix ? ça passe crème…et c’est grave
TA Rennes, ord. 14 avril 2023, Sté Chantiers Piriou, n°2301645
Dans le contexte économique actuel, voici une ordonnance qui passe mal.
L’IFREMER a mis en œuvre une procédure d’appel d’offres relative à la construction d’un navire de recherche semi-hauturier, sans toutefois prévoir de clause de révision de prix, ce qui, s’agissant d’un EPIC de l’Etat, laisse songeur (faites ce que je dis, pas ce que je fais...).
Après avoir rappelé les dispositions de l’article R.2112-14 du code de la commande publique, le juge va constater le manquement à ses obligations de publicité et de mis en concurrence commise par l’IFREMER : « aux termes de l’article R.2112-14: « Les marchés d’une durée d’exécution supérieure à trois mois qui nécessitent pour leur réalisation le recours à une part importante de fournitures, notamment de matières premières, dont le prix est directement affecté par les fluctuations de cours mondiaux comportent une clause de révision de prix incluant au moins une référence aux indices officiels de fixation de ces cours, conformément aux dispositions de l’article R. 2112-13. ». Il résulte de ces dispositions que, lorsqu’au moment de la passation d’un marché il est établi que celui-ci nécessite pour sa réalisation le recours à une part importante de fournitures, notamment de matières premières, dont le prix est directement affecté par les fluctuations de cours mondiaux, le contrat doit comporter une clause de révision de prix établie en fonction d’une référence aux indices officiels de fixation de ces cours. Il résulte de l’instruction que la durée d’exécution du marché litigieux est supérieure à trois mois. Il n’est pas sérieusement contesté que sa réalisation nécessite le recours à une part importante de fournitures dont le prix est directement affecté par les fluctuations des cours mondiaux. Ce marché doit, dès lors, comporter une clause de révision de prix incluant une référence aux indices officiels de fixation de ces cours. Il est constant que ce marché ne comporte aucune clause de révision de prix. Compte-tenu de l’incidence des clauses du contrat relatives aux prix et à leur révision sur la formation des offres des candidats, notamment en fonction des capacités financières respectives de ces derniers, cette méconnaissance des dispositions de l’article R.2112-14 du code de la commande publique constitue un manquement de l’Ifremer à ses obligations de mise en concurrence ».
Jusqu’à la rien d’anormal. Mais c’est encore une fois sur la lésion que le bas blesse. En effet, le juge après pourtant avoir explicitement relevé « l’incidence des clauses du contrat relatives aux prix et à leur révision sur la formation des offres des candidats » va botter en touche en considérant que le manquement n’était pas susceptible de léser le candidat, sans la moindre justification : « il ne résulte pas de l’instruction que ce manquement, eu égard à sa portée et au stade de la procédure auquel il se rapporte, aurait lésé ou serait susceptible d’avoir lésé le groupement des sociétés Chantiers Piriou et Mauriac, qui a pu présenter utilement une offre et ne précise pas en quoi le chiffrage de son offre, notamment financière, en aurait été rendu particulièrement difficile ».
Enième illustration des dérives de la jurisprudence Smirgeomes sur laquelle il serait grand temps de revenir.
publié le 17 avril 2023
Validation de l’exclusion des candidats ayant un lien organique ou capitalistique avec des entités susceptibles d'être contrôlées dans le cadre de l'exécution du marché
CE, 12 avril 2023, ONF, n°466740
L’ONF avait mis en œuvre une procédure de passation d’un marché public portant sur des missions de travail aérien sur l'ensemble du territoire de la Guyane, dans le cadre duquel une surveillance d’activités professionnelles d'exploitation du sol ou du sous-sol pouvait être réalisée depuis le ciel.
Une clause prévoyait donc expressément que « les opérateurs économiques ayant un lien organique ou capitalistique avec une personne physique et/ou morale exerçant une activité professionnelle, soit d'exploitation du sol ou du sous-sol (extraction minière notamment), soit étroitement liée à ce secteur d'activité, ne peuvent pas candidater à la présente consultation ».
En première instance le juge des référés du TA de Guyane avait enjoint à l’ONF de supprimer cette clause, analysée comme une condition d’exécution discriminatoire, d'en informer les opérateurs économiques et d'ouvrir un nouveau délai de réception des offres au moins égal à cinquante jours.
Saisi d’un pourvoi, le juge annule l’ordonnance en considérant que la clause n’est pas une condition d’exécution du marché mais bien une condition de participation à la procédure : « la clause contestée par la société Héli-Cojyp, qui vise à exclure des candidats de la consultation, a pour objet d'assurer l'indépendance de l'attributaire du marché et de ses pilotes vis-à-vis des entités ou activités susceptibles d'être contrôlées dans le cadre de l'exécution de ce marché. Elle doit ainsi être regardée comme une condition de participation à la procédure de passation propre à garantir les capacités professionnelles des candidats nécessaires à l'exécution du marché, au sens des dispositions de l'article L. 2142-1 du code de la commande publique ».
Puis le Conseil d’état rappelle les conditions de légalité de telles conditions de participation et va valider la clause au cas d’espèce, celle-ci étant justifiée dès lors qu’elle n’est ni manifestement dépourvue de lien avec l'objet du marché ni manifestement disproportionnée : « le juge du référé précontractuel ne peut annuler une procédure de passation d'un marché pour manquement du pouvoir adjudicateur à ses obligations de fixer des niveaux minimaux de capacité liés et proportionnés à l'objet du marché résultant de l'article L.2142-1 du code de la commande publique que si l'exigence de capacité imposée aux candidats est manifestement dépourvue de lien avec l'objet du marché ou manifestement disproportionnée ; que le marché en cause porte sur la réalisation de missions héliportées, comptabilisées en heure de vol, ayant notamment pour objet la surveillance des activités minières légales et illégales, et que la bonne exécution de ces missions impose des exigences de confidentialité et d'indépendance des pilotes vis-à-vis notamment des personnes susceptibles de faire l'objet de cette surveillance. Par suite, et alors qu'il est manifeste, en l'état de l'instruction, qu'aucune des autres modalités que la société Héli-Cojyp présente comme alternatives à la clause litigieuse n'aurait permis à l'ONF de garantir que les candidats disposent des capacités professionnelles nécessaires à l'exécution du marché compte tenu des exigences de confidentialité et d'indépendance précitées, la clause litigieuse, imposant aux candidats à ce marché de n'avoir ni lien organique ni lien capitalistique avec une personne physique ou morale exerçant une activité d'exploitation du sol ou du sous-sol, n'est ni manifestement dépourvue de lien avec l'objet du marché ni manifestement disproportionnée ».
La clause litigieuse n’était donc pas constitutive d'un manquement de l'ONF aux principes d'égalité de traitement des candidats et de libre accès à la commande publique ou à ses obligations de publicité et de mise en concurrence, et ne devait donc pas être écartée.
publié le 13 avril 2023
Offre dénaturée, procédure annulée
TA Toulouse, 6 avril 2023, Sté Socotec, n°2301257
Si le moyen de la dénaturation de l’offre est quasiment systématiquement soulevé par les candidats évincés à l’appui de leurs requêtes en référé précontractuel, il n’est que très rarement retenu par les juridictions. Et lorsqu’il est retenu, il n’est pas forcément considéré comme ayant lésé le candidat, de sorte que la procédure n’est pas nécessairement annulée.
Or, en l’espèce, s’agissant d’une procédure d’appel d’offres ouvert en vue de l’attribution d’un accord-cadre à bons de commande ayant pour objet les vérifications périodiques des sites d’un département, le juge a retenu la dénaturation sur deux sous-critères (indication des délais et de la personne dédiée) et la lésion (compte tenu de l’écart final de notation), et a donc annulé la procédure au stade de l’analyse des offres : « s’agissant du sous-critère « délais d’exécution des demandes contractuelles ou report de date ou contre-visite » pour lequel les sociétés requérantes ont obtenu la note de 12 sur 15, le courrier de rejet indique, pour justifier cette décote, que « les délais d’intervention, sont précisés et conformes sauf pour les contre-visites ». Selon le CCTP, la réalisation éventuelle d’une contre-visite s’entend lorsqu’apparaît un désaccord entre l’administration et le prestataire en charge des vérifications, un tel désaccord pouvant raisonnablement être interprété comme l’expression, par l’administration, de réserves. Or la proposition de la société Socotec, telle qu’elle a été portée dans le cadre de réponse, était libellée comme suit : « Les délais de planification suite à une annulation, des levées de réserves ou des demandes en sus du présent marché (planification et génération d’un rapport) vont de 48 heures pour la partie planification jusqu’à 15 jours pour la remise du rapport. ». En estimant que l’offre présentée par la requérante ne précisait pas les délais des contre-visites, le département de la Haute-Garonne en a méconnu les termes et l’a donc dénaturée. S’agissant du sous-critère «effectifs » pour lequel la société requérante a obtenu une note de 7 sur 10, le courrier de rejet fait état de ce que « bien que l’organisation de la société réponde aux attentes, des précisions auraient pu être apportées sur le rôle des planificateurs et, en ce qui concerne les effectifs, les noms ne correspondent pas tous aux CV. Enfin, votre société dispose certes d’une accréditation COFRAC mais celle-ci concerne uniquement la partie électricité et thermique. ». Or il ressort de l’attestation qui a été produite par la société qu’elle dispose de l’ensemble des accréditations requises pour l’exécution du marché en litige. La société apparait ainsi fondée à soutenir que le département de la Haute-Garonne, en appréciant comme il l’a fait leur offre au regard de ce sous-critère, en a méconnu les termes et l’a donc dénaturée. Alors que l’écart de notation entre l’offre de la société attributaire et de la requérante n’est que de 3,18 points, les dénaturations relevées ont pu avoir pour effet de minorer la notation attribuée à cette dernière offre d’un maximum de 6 points, de sorte que ces dénaturations sont susceptibles d’avoir lésé la société Socotec ».
publié le 12 avril 2023
Sous-critère de la « politique RSE de la société », oui si c’est dédié !
TA Paris, ord. 5 avril 2023, Sté Kéolis, n°2304294
Nouvelle jurisprudence sur le critère RSE. Cette fois-ci le contentieux portait sur une procédure de passation d’une DSP pour l’exploitation de lignes de bus. Les offres ont été analysées sur la base de 5 critères, dont « la qualité du volet social, sociétal et organisation » pour 15%, comprenant trois sous-critères, à savoir la « reprise du personnel et projet social », l’« organisation, plan de transition et sûreté » et « la politique RSE de la société dédiée ».
Le candidat évincé mettait en avant l’illégalité de ce dernier sous-critère, constituant un critère relatif à la politique générale de l’entreprise en matière sociale et sociétale, indépendamment de l’objet ou des conditions d’exécution propres à la concession en cause.
Or, le juge va rejeter l’argument, au motif que la politique sociétale concerne justement la société dédiée, à créer par l’attributaire pour l’exploitation du service : « Si le pouvoir adjudicateur peut, pour sélectionner l’offre économiquement la plus avantageuse, mettre en œuvre des critères comprenant des aspects sociaux, c’est à la condition, notamment, qu’ils soient liés à l’objet du marché ou à ses conditions d’exécution. A cet égard, des critères à caractère social, relatifs notamment à l’emploi, aux conditions de travail ou à l’insertion professionnelle des personnes en difficulté, peuvent concerner toutes les activités des entreprises soumissionnaires, pour autant qu’elles concourent à la réalisation des prestations prévues par le marché. Ces dispositions n’ont, en revanche, ni pour objet, ni pour effet de permettre l’utilisation d’un critère relatif à la politique générale de l’entreprise en matière sociale, apprécié au regard de l’ensemble de son activité et indistinctement applicable à l’ensemble des marchés de l’acheteur, indépendamment de l’objet ou des conditions d’exécution propres au marché en cause. Dans le cadre du sous-critère 5.3 « la politique RSE de la société dédiée », les candidats étaient invités à détailler les mesures particulières qu’ils envisageaient de mettre en œuvre au titre de leur politique RSE au sein de la société dédiée. Par suite, dans la mesure où les informations demandées aux candidats portaient sur la structure dédiée à l’exécution de la concession et non sur la politique générale de l’entreprise, la société requérante n’est pas fondée à soutenir qu’IDFM aurait mis en œuvre un critère illégal de sélection des offres sans lien avec l’exécution des prestations de la concession ».
Selon le juge, puisque l’objet social de la société dédiée est exclusif au service en cause, sa politique RSE ne peut donc être qu’en lien direct avec l’objet du service. Un tel raisonnement n’est effectivement pas dénué de pertinence, mais n’apparait pas non plus totalement convaincant dès lors que les sociétés dédiées sont souvent des « coquilles vides » qui ne font qu’appliquer les directives de la société qui l’a créée. Et certaines PME ont, bien souvent, comme seul objet d’exécuter un même type de contrat ; pour autant leur politique RSE n’apparait pas dans un tel cas en lien direct avec l’objet du marché qu’els se voient attribuer.
publié le 11 avril 2023
Collecte des déchets en bacs et en colonne : prestations distinctes mais globalisables
TA Montpellier, ord. 3 avril 2023, Sté Méditerranéenne de Nettoiement, n°2301260
Dans cette affaire, un candidat évincé demandait, pour plusieurs motifs, l’annulation de la procédure de passation du marché public de collecte des déchets ménagers de la ville de Narbonne et des points d'apports volontaires du territoire du Grand Narbonne. L’un de moyens soulevés résidait dans l’absence d’allotissement des prestations distinctes prévues au marché, à savoir la collecte de déchets en bacs et la collecte des déchets en colonnes. Dans un premier temps, le juge valide l’existence de prestations distinctes : « il est constant que le marché en litige comprend deux prestations de collecte, d'une part, les déchets en bacs de la ville et, d'autre part, les déchets en colonnes (enterrées et aériennes) sur l'ensemble du territoire du Grand Narbonne, prestations qui, en général, font appel à des véhicules de collecte équipés différemment et qui peuvent, en principe, s'exécuter selon deux marchés distincts, comme cela était du reste le cas précédemment. Le marché en litige fait donc manifestement appel à des prestations distinctes relevant de lots séparés au sens de l'article L.2113-10 du code de la commande publique ». Néanmoins, le juge va rejeter le moyen au motif que le pouvoir adjudicateur a apporté des justifications suffisantes au regroupement de ces deux prestations, notamment en raison de la mutualisation des moyens matériels, limitant les émissions de Co2, et au regard du risque d’absence de concurrence sur le lot « collecte des déchets en colonne », prestations économiquement peu attractives.
Sur la base de ces justifications le juge écarte tout erreur manifeste d’appréciation dans la décision de recourir à un marché global : « que la mutualisation de moyens matériels et humains est techniquement possible, notamment par le recours à des véhicules de collecte " mixte ", ce qui est de nature à générer des économies en points de collecte et dans les rejets de CO2. D'autre part, les prestations de collecte des déchets en colonnes ne représentant, pour le marché passé en 2019, que 17,9% de la valeur du marché d'enlèvement des ordures en bacs portant sur la Ville conclu avec la requérante en 2017, la communauté d'agglomération établit qu'en renonçant, pour le présent marché, à l'allotissement, elle a souhaité éviter le risque non négligeable d'une absence de concurrence sur le lot correspondant à ces prestations économiquement moins attractives. Par suite, la communauté d'agglomération, qui a préalablement motivé au règlement de la consultation, comme l'exigent les dispositions précitées de l'article L.2113-11 du code de la commande publique, son choix de déroger à l'allotissement, n'a pas entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation ».
La procédure sera tout de même annulée pour un tout autre moyen, tiré de la modification du DCE après le délai fixé au RC : « le DCE a été modifié, le 11 octobre 2021, soit six jours après la date limite de remise des offres, la communauté d'agglomération ayant adressé aux deux soumissionnaires un document " OUV6 " intitulé " demande de précisions ou compléments sur l'offre " portant notamment sur les modalités de calcul du " bilan carbone ", où il leur était demandé de renseigner une nouvelle annexe " Flotte auto " avec deux différences notables par rapport à la version initiale prévue au RC, d'une part, les rejets de gaz à effet de serre (GES) devaient être exprimés non plus en " kgCo2/km " mais en " kgCo2/L ", d'autre part, il était demandé de prendre en compte les valeurs de rejet des différents carburants fournis par le référentiel ADEME, donc en lieu et place de celles issues de la norme WLTP seule initialement mentionnée. Or, cette annexe, qui a valeur contractuelle, ne pouvait faire l'objet d'une modification, en admettant même qu'elle puisse être considérée comme mineure selon les termes de l'article 4 du RC, que dans les 11 jours avant la date de limite des offres. Par suite, en ayant modifié un document à valeur contractuelle, indispensable à l'appréciation des offres, postérieurement à la date de remise des offres, la communauté d'agglomération a méconnu son propre règlement, ce qui constitue un manquement aux obligations de mise en concurrence », un tel manquement ayant lésé le candidat selon l’ordonnance.
publié le 7 avril 2023
Répondre à une demande de précisons équivaut à confirmer la prolongation de la durée de validité de offres
TA Marseille, ord. 28 mars 2023, Sté Uretek France, n°2302282
Ordonnance très pédagogique rendue dans ce contentieux par le juge des référés du TA de Marseille.
Dans cette affaire, la date limite de remise des offres était fixée au 21 avril 2022 et le délai de validité des offres était de 120 jours, soit jusqu’au 21 aout 2022, le marché ayant été attribué en janvier 2023, soit bien au-delà de cette date de validité. Néanmoins, la procédure avait été partiellement annulée par une première ordonnance de référé le 12 aout 2022 et lors de la reprise de la procédure, le pouvoir adjudicateur avait adressé, le 8 novembre 2022, une demande de précisions, à laquelle les candidats avaient répondu le 18 novembre. A compter de cette date, l’attribution en janvier 2023 pouvait être valablement considéré comme effectuée dans le délai de validité des offres. Et c’est ce que vient de juger le TA : « le dépassement de délai de validité des offres et l’absence de prorogation sont constitutifs d’un manquement aux règles de publicité et de mise en concurrence. Ne méconnaît pas ses obligations de publicité et de mise en concurrence une collectivité publique qui notifie à une entreprise candidate sa décision de ne pas retenir sa candidature postérieurement à l’expiration du délai de validité des offres, dès lors que la décision d’écarter cette candidature a été prise avant l’expiration de ce délai. Il résulte de l’instruction, et notamment de l’article 2-10 du règlement de la consultation « Délai de validité des offres », que le délai de validité des offres était de 120 jours et courrait à compter de la date limite fixée pour la remise des offres soit à compter du 21 avril 2022 à 17 heures. Toutefois, il résulte également de l’instruction que postérieurement à l’ordonnance n° 2206089-2206200 en date du 12 août 2022, la commune de Castellane a décidé de reprendre la procédure au stade de l’analyse des offres et qu’elle a transmis par courrier du 8 novembre 2022 à la société Freyssinet, le courrier du maître d’œuvre « Géotechnique Science de la terre SAS » en date du 7 novembre 2022 qui lui demande dans le cadre de l’analyse de l’offre de préciser « les modalités d’exécution en confirmant notamment la prise en compte d’une intervention en deux phases conformément aux prescriptions du CCTP avec le traitement des fondations de l’existant et du sol d’assise des nouveaux appuis après leur réalisation dans un deuxième temps selon le planning fourni » ainsi que de confirmer son offre de prix. Il résulte de l’instruction que par un courrier du 18 novembre 2022 la société Freyssinet a répondu à cette demande en apportant les précisions demandées relatives à l’exécution en deux phases ainsi qu’en confirmant « le prix remis au 21 avril 2022, soit 222 350 euros HT ». Par suite, la demande de précisions et de confirmation en date du 8 novembre 2022 doit être nécessairement regardée comme une demande de prorogation de la durée de validité des offres et la réponse du 18 novembre 2022 comme une confirmation expresse de la durée de validité de l’offre de la société Freyssinet. Au surplus, il ressort de l’examen du rapport d’analyse des offres que la commune de Castellane a adressé la même demande de précisions sur son offre le 7 novembre 2022 à la société Uretek France qui a répondu le 25 novembre suivant puis a été auditionnée au cours d’une réunion de présentation des offres le 23 janvier 2023 en présence des membres de la commission d’appel d’offres et du maître d’œuvre. En conséquence, la commune de Castellane n’a nullement manqué aux règles de publicité et de mise en concurrence, le moyen tiré du dépassement de la durée de validité des offres doit être écarté ».
Moralité, quand le délai de validité est dépassé, il convient, si le candidat veut contester par la suite la procédure de le signaler à l’acheteur et de ne plus répondre positivement à ses demandes.
publié le 30 mars 2023
Offre transmise par mail et ouverte avant la DLRO : pas nécessairement de manquement
TA Toulon, ord. 22 mars 2023, Société des Eaux de Marseille, n°23005556
La procédure en cause était une procédure de délégation de service public pour l’exploitation du service d’assainissement collectif. Le RC précisait que les offres seraient transmises sur la plateforme de dématérialisation, mais que « si la Présidente décide d’engager des négociations avec un ou plusieurs candidats, le mail pourra être utilisé ».
Un candidat évincé avait ainsi envoyé son offre finale par mail le 5 janvier 2023 à 14h40, mail lu le 5 janvier 2023 à 14h45 soit 21 heures avant la date limite de remise des offres finales. Ce candidat mettait ainsi en avant la violation du principe de confidentialité, et le fait que des éléments de son offre ont pu être transmis à un autre candidat.
Le juge va néanmoins rejeter ce moyen en relevant que si le mail ne présente aucune garantie de confidentialité, le délai entre la lecture du mail et la DLRO était très court, l'acheteur ayant en outre certifié ne pas avoir pris connaissance du contenu de l'offre : « la remise des offres finales sur support dématérialisé dans les circonstances sus évoquées, si elle n’offre pas de garantie de confidentialité des offres, n’a pu, dans les circonstances de l’espèce, porter d’atteinte à ce principe dès lors que la quasi-simultanéité de remise des offres à quelques minutes de l’heure limite a fait matériellement obstacle à ce qu’un soumissionnaire bénéficie d’information sur les offres concurrentes et modifie en conséquence son offre. Enfin, la circonstance que l’offre finale de la société requérante ait été téléchargée avant l’expiration du délai prescrit pour la déposer, n’a pu, en l’espèce, donner lieu à des fuites d’informations, la directrice des marchés de la Communauté d’Agglomération Sud Sainte Baume ayant certifié sous sa responsabilité n’avoir fait que procéder à ce téléchargement sans prendre connaissance du contenu de l’offre ».
Il n’est donc jamais inutile, pour acheteur, en référé précontractuel d'établir des attestations sur l'honneur pour prouver la régularité de la procédure.
publié le 27 mars 2023
Le candidat dont l’offre est jugée irrégulière à tort est bien lésé par ce manquement, même si son offre a été (mal) classée
TA Toulouse, ord. 20 mars 2023, Sté CVH, n°2301007
Dans cette affaire, la direction régionale Occitanie de Pôle emploi avait lancé une procédure en vue de l’attribution d’un marché ayant pour objet la mise en œuvre de prestations de service d’insertion professionnelle de type « valoriser son image pro » à destination des personnes à la recherche d’un emploi en région Occitanie.
L’offre d’un candidat avait été considérée comme irrégulière, au motif qu’elle ne respecterait pas une prescription du cahier des charges. Elle avait donc été jugée irrégulière, mais avait néanmoins fait l’objet d’une analyse et d’un classement fictif (et à part) qui ne lui permettait pas de se voir attributaire du marché. Le pouvoir adjudicateur en défense faisait donc valoir à titre subsidiaire l’absence de lésion au sens de la jurisprudence Smirgeomes.
Le juge des référés, après avoir constaté que l’offre était bien régulière (le candidat ayant en réalité respecté le cahier des charges) ne suit pas ce raisonnement et juge que le fait de juger irrégulière une offre régulière constitue un manquement qui lèse ce candidat, quel que soit l’éventuel rang de classement obtenu : « Si Pôle Emploi fait valoir que la société C.V.H. ne saurait être lésée dès lors que l’analyse de son offre, à laquelle il a été procédé en affectant fictivement les notes maximales au sous-sous-critère sur lequel elle a été estimée défaillante, la place en toute hypothèse en position de ne pas être attributaire des deux lots auxquels elle postule, la décision du 17 février 2023 par laquelle cette offre a été déclarée irrégulière a fait obstacle à ce que la commission des marchés du pouvoir adjudicateur procède à une analyse complète et simultanée de l’ensemble des offres. Par ailleurs, ainsi que le fait valoir la société requérante, elle ne pouvait, dans le cadre de la présente instance, se prévaloir que des manquements tenant à la contestation de l’irrégularité de son offre et éventuellement d’autres manquements qui sont liés, ou qui pourraient être indirectement la cause, de cette irrégularité, et, du fait de ce rejet pour irrégularité, elle a été privée de la possibilité de demander les caractéristiques et avantages de l’offre retenue ainsi que le nom de l’attributaire du marché. Dans ces conditions, il y a lieu de regarder la société C.V.H. comme justifiant d’un intérêt lésé ».
Cette position apparaît heureuse, tant la jurisprudence Smirgeomes a été dévoyée depuis l’origine.
publié le 23 mars 2023
Piqûre de rappel du Conseil d’Etat sur la qualité de la réponse d’un candidat interrogé suite à une suspicion d’OAB
CE, 14 mars 2023, communauté d'agglomération du Grand Cahors, n°465456
Dans cette décision, le Conseil d’Etat (qui annule une ordonnance de référé précontractuel, décidément) rappelle que lorsqu’un candidat est interrogé à la suite d’une suspicion d’offre anormalement basse, il doit fournir des explications précises, détaillées et justifiées par des pièces. A défaut, le rejet de son offre comme anormalement basse ne constitue pas une erreur manifeste d’appréciation de la part de l’acheteur : « par lettre du 1er avril 2022, la communauté d'agglomération a demandé à la société Chassaing TP d'apporter, d'une part, les explications générales de nature à justifier les prix proposés, lesquels étaient en deçà de l'estimation et de la moyenne des autres offres avec des écarts importants et, d'autre part, tous éléments justificatifs pour une liste non exhaustive de prestations dont les coûts et prix apparaissaient incohérents. Au vu de la réponse de la société, le président de la communauté d'agglomération a rejeté son offre comme anormalement basse. Il a relevé, en premier lieu, que la société n'avait pas produit d'explication générale sur les tarifs appliqués, lesquels apparaissaient particulièrement bas en comparaison de l'estimation du pouvoir adjudicateur et des prix résultants des offres concurrentes, en deuxième lieu, que les détails complémentaires demandés pour certaines prestations n'apparaissaient pas en adéquation avec le descriptif du chantier-exemple produit dans le mémoire technique de l'entreprise, en troisième lieu, que les détails complémentaires demandés pour certaines prestations comportaient toujours des imprécisions et carences et, en dernier lieu, que les réponses apportées par la société Chassaing TP comportaient des incohérences dans les justifications apportées, ces deux dernières considérations étant assorties d'exemples précis. En estimant que la procédure ainsi suivie par la communauté d'agglomération méconnaissait les obligations de celle-ci rappelées aux points 3 et 4, le juge des référés du tribunal administratif de Toulouse a commis une erreur de droit et dénaturé les pièces du dossier qui lui était soumis ».
publié le 15 mars 2023
Critère RSE : nouvelle validation (très contestable) cette fois par le TA de Montpellier
TA Montpellier, ord. 1er mars 2023, Sté Sylamed, n°2300812
Nouvelle pierre à l’édifice jurisprudentiel relatif au critère RSE. Cette fois-ci, un sous-critère visait à noter explicitement la « responsabilité sociétal des entreprises ». Le RC précisait d’ailleurs expressément que « la responsabilité sociétale des entreprises est entendue dans le cadre du présent marché selon la définition retenue par la Commission européenne comme l’intégration volontaire, par les entreprises, de préoccupations sociales et environnementales à leurs activités commerciales et leurs relations avec leurs parties prenantes.() Le candidat présente ainsi dans son offre : 1- Sa démarche RSE : • Visant la réduction des gaz à effet de serre (GES) ; • Ses actions visant la diminution de sa consommation d’électricité ; • Le contrôle de sa production des déchets. Il fournira des informations complémentaires concernant les produits de calage dans ses colis (qualité (chips, papier, coussin, frisure), matière première, mode d’élimination requis) ; • Les principaux publics intégrés affectés à l’exécution du marché (Parité homme / femme ; catégorie d’âge, personnel handicapé). 2- Les éventuelles certifications qu’il justifie, notamment dans [certains] domaines ».
Ainsi rédigé, ce sous-critère semblait devoir être sanctionné, puisque sans rapport direct avec le seul objet du marché (et ce d’autant que le candidat évincé avait obtenu sur ce sous-critère la note de 5/20). Mais pour éviter un tel écueil, le règlement de consultation avait pris soin de préciser que « il est rappelé au candidat qu’au titre des éléments ci-dessous, il n’est pas attendu une liste d’éléments génériques sur la politique RSE de l’entreprise sans lien avec l’objet de l’accord-cadre, mais bien la manière dont celui-ci entend mettre en œuvre ces différents éléments pour l’exécution de l’accord-cadre ». Une telle précision ne semblait néanmoins pas suffisante pour valider la démarche, surement louable, de l’acheteur. Ecrire de quelque chose d’illégal qu’il est légal ne suffit en effet pas à le rendre régulier pour autant.
Et pourtant, cette précision suffit au juge pour valider la sous-critère. En effet, dans son ordonnance le juge indique qu’« il résulte de la rédaction de ce sous-critère que le pouvoir adjudicateur a bien entendu fixer des conditions, directement en lien avec l’objet du marché, dans lesquelles les opérateurs économiques exécuteraient l’accord-cadre, contrairement à ce que soutient la société requérante », mélangeant ainsi allégrement les notions de critères de choix et de conditions d’exécution du marché…
Moralité, les acheteurs peuvent tenter d’intégrer un sous critère RSE en indignant bien la formule « magique » selon lequel il est bien en rapport avec l’objet du marché et espérer la mansuétude du juge.
publié le 20 mars 2023
Violation du principe d’impartialité : il faut se méfier de son AMO !
CE, 28 février 2023, Sté Sofratel, n°467455
La commune de Caudry avait souhaité lancer une consultation en vue de la passation d'un marché public de fournitures portant sur l'extension et la maintenance de son système de vidéo-protection urbaine. Pour ce faire, elle a eu recours à un AMO, la société AV Protec, qui avait préconisé l’attribution du marché à un groupement faisant appel à un fournisseur, la société CIPEO, éditeur du logiciel « CANOPY 31 ». Or, le dirigeant de la société AV Protec, AMO, était également le dirigeant de la société CIPEO, fournisseur de l’attributaire…
Un candidat évincé avait donc saisi le juge du référé précontractuel qui avait, étonnement, considéré qu’une telle situation n’était pas constitutive d’un manquement au principe d’impartialité et avait rejeté la requête.
Le Conseil d’Etat va heureusement censurer cette analyse, en considérant que « la société AV Protec a, au titre de sa mission d'assistance à la maîtrise d'ouvrage, participé à l'analyse des offres et à leur notation et a été ainsi susceptible d'influencer l'issue de la procédure. Par suite, en jugeant que la participation de la société AV Protec au déroulement de la procédure de passation du marché litigieux n'était pas de nature à compromettre l'impartialité de l'assistant à la maîtrise d'ouvrage ni, par conséquent, la régularité de la procédure de passation, le juge des référés a inexactement qualifié les faits de l'espèce ». Et d’ajouter qu’« en qu'en faisant participer la société AV Protec à l'analyse et l'évaluation des offres dans le cadre de la procédure de passation du marché litigieux, la commune de Caudry a méconnu le principe d'impartialité et, partant, ses obligations de publicité et de mise en concurrence. En revanche, il ne résulte de l'instruction aucune circonstance de nature à faire naître un doute sur le fait que cette société aurait élaboré le règlement de la consultation et les pièces du marché de façon à favoriser l'offre qui indiquerait utiliser le logiciel commercialisé par la société avec laquelle elle partage des intérêts. Par suite, il y a lieu, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la demande, d'annuler la procédure de passation contestée au stade de l'analyse des offres, et d'enjoindre à la commune de Caudry, si elle entend conclure le marché en litige, de la reprendre à ce stade, sans qu'y participe la société AV Protec ».
Cette affaire constitue par ailleurs une nouvelle illustration de la nécessité qu’il y a de prévoir un recours en cassation efficace contre les ordonnances de référé précontractuel qui rejettent des requêtes. En effet, en l’espèce, le marché aurait pu être signé après l’ordonnance d e1ere instance, ce qui aurait dessaisi le Conseil d’Etat, mais la commune a, semble-t-il, préféré attendre avant de signer et obtenir la position de la haute juridiction. Sans cela, ce manquement serait resté sans suite.
Un tel recours, pour lequel je milite depuis longtemps, apparait d’autant plus nécessaire que depuis quelque temps, la qualité de certaines ordonnances de référés est critiquable.
publié le 2 mars 2023
Offres analysées globalement dans un accord-cadre alloti sans maximum : la double tap du TA de Mayotte
TA Mayotte, ord. 20 février 2023, Sté Extenso Mayotte, n°2300644
La caisse de écoles de Dembéni a lancé une consultation en vue de la passation d’un accord-cadre à bons de commande sans minimum ni maximum, alloti en deux lots et ayant pour objet la fabrication et la livraison quotidienne de collations scolaires destinées aux élèves des écoles maternelles et primaires de la commune, les offres de ces deux lots ayant été analysées de manière globale.
Saisi par un candidat évincé, le TA de Mayotte retient coup sur coup deux moyens d’annulation. Dans un premier temps, le juge des référés relève que « le pouvoir adjudicateur n’a pas examiné chaque offre lot par lot, mais a procédé à l’appréciation globale de ces offres, en méconnaissance des dispositions précitées de L. 2152-7 du code de la commande publique. La circonstance, au demeurant inexacte, que les offres présentées contenaient les mêmes propositions, est sans incidence sur le respect de la procédure de passation des lots qui avait été librement choisie par le pouvoir adjudicateur qui ne pouvait, dès lors, s’en affranchir ». On rappellera en effet la règle pourtant bien connue « 1 lot = 1 marché » qui interdit de globaliser une analyse dans le cadre d’un marché alloti.
Dans un deuxième temps, le magistrat souligne, après avoir rappelé la règle issue de l’arrêt Simonsen de la CJUE que « le marché passé sous la forme d’un accord-cadre ne comporte, ni montant minimum, ni montant maximum, sur le fondement du 3° de l’article R. 2162-4 du code de la commande publique. Il résulte de ce qui a été dit au point 7 que ce marché méconnaît ainsi les dispositions de l’article 49 de la directive du 26 février 2014, qui sont d’application directe […] dans ces conditions, et alors que l’accord-cadre en litige relève du champ d’application de la directive du 26 février 2014 mentionnée ci-dessus, la société Extenso Mayotte est fondée à soutenir que la procédure de passation est irrégulière ».
publié le 3 mars 2023
Dura lex, sed lex, même pour 29 secondes de retard
TA Versailles, ord. 8 février 2023, Sté Seamed France, n°2300644
Un candidat ayant déposé son offre à 10h00 et 29 secondes, alors que la DLRO était fixée à 10h00 soutenait que puisque le RC mentionnait la date du 17 janvier 2023 à 10 heures pour la réception des offres, et non " avant 10 heures " ou à " 10 heures 00.00 " ; les secondes ne devaient pas être considérées comme éliminatoires. Il soutenait également que le juge des référés devait être indulgent pour un dépassement aussi minime et qu’au demeurant ce dépassement était aussi imputable à la préparation de la grève du 19 janvier.
Le juge ne va pourtant pas se laisser attendrir, et va valider le caractère irrégulier, car tardif, de cette offre : « la société Seamed France a déposé sur la plateforme des achats de l'Etat (PLACE) deux offres correspondant à deux lots distincts, le 17 janvier 2023 à 10 heures et 29 secondes. Toutefois, ainsi qu'il a été dit au point précédent, le règlement de la consultation prévoyait, de façon claire et dénuée d'ambiguïté, que les dates et heures limites de remise des offres étaient fixées au 17 janvier 2023 à 10 heures 00. Il n'est ni soutenu ni allégué que la société Seamed France ait demandé une prolongation du délai de remise des offres au pouvoir adjudicateur dans les conditions prévues à l'article 9 du règlement de la consultation. Dans ces conditions, cette offre parvenue postérieurement à l'heure limite fixée par les documents de la consultation devait nécessairement être éliminée comme irrégulière ».
publié le 10 février 2023
Illustration des manquements dans l’exécution d’un contrat antérieur autorisant une exclusion d’une procédure de passation d’un marché public
TA Bordeaux, ord. 27 janvier 2023, Sté AQIO, n°2206735
On sait que l’article L.2141-7 du code de la commande publique dispose que « l’acheteur peut exclure de la procédure de passation d’un marché les personnes qui, au cours des trois années précédentes, ont dû verser des dommages et intérêts, ont été sanctionnées par une résiliation ou ont fait l’objet d’une sanction comparable du fait d’un manquement grave ou persistant à leurs obligations contractuelles lors de l’exécution d’un contrat de la commande publique antérieur ».
C’est sur ce fondement que le département de la Gironde a exclu la candidature d’une société d’un marché de travaux, en raison des difficultés d’exécution qu’il avait connu avec ce même candidat sur des précédents marché. La contestation de cette exclusion va permettre au juge de fournir une illustration de ce que peut constituer, pour un candidat, un manquement grave ou persistant à ses obligations contractuelles lors de l’exécution d’un contrat de la commande publique antérieur.
Les 5 manquements reprochés par l’acheteur ayant fondé l’exclusion étaient les suivants : (i) non-respect des clauses contractuelles, notamment les prestations à exécuter en période de préparations telles que décrites dans les documents marché, (ii) non-respect des prescriptions d’ordres de service, (iii) non-respect du rôle et de la mission des assistants à maîtrise d’ouvrage, notamment le maître d’œuvre (exécution de travaux sans visa MOE) et CSPS (non-respect de ses prescriptions ou des mentions du registre journal, (iv) non-déclaration de sous-traitance, (v) réclamations financières récurrentes pour des prestations incluses dans les documents marchés, prévues et prises en compte au stade de l’offre.
Après avoir analysé en détail ces différents manquements (dans 5 considérants très développés) le jugé relève que la société s’est vu appliquer des mises en demeure et des pénalités, et conclut que « la SAS Aqio a fait preuve, en particulier dans la réalisation des travaux de restructuration du collège de Lussac, de manquements graves et persistants à ses obligations contractuelles, qui ont conduit dans certains cas à la mise en œuvre de pénalités. Dans ces conditions, en prononçant, par la décision contestée, l’exclusion de cette société de la procédure de passation de l’accord-cadre multi-attributaires pour la réalisation de divers travaux sur le patrimoine immobilier des collèges publics de compétence départementale, le département n’a pas fait une inexacte application des dispositions précitées de l’article L. 2141-7 du code de la commande publique ».
Bien mise en œuvre, cette disposition permet donc à un acheteur de pouvoir de plus avoir affaire à un titulaire défaillant. Ceci montre également que les titulaires sont tout intérêt à bien exécuter les marchés qui leur sont attribués s’ils veulent continuer à pouvoir répondre à des marchés.
publié le 6 février 2023
Rappel (car visiblement ça a du mal à rentrer) : en MAPA, si vous pondérez les critères et les sous-critères, il faut l’annoncer.
TA Nancy, ord. 18 janvier 2023, Sté Boulanger BTP, n°2203796
Enième illustration de l’annulation d’une procédure de passation d’un MAPA qui annonçait des critères et sous-critères dans le RC sans pondération, mais dont le RAO démontrait qu’ils avaient été effectivement pondérés : « en l’espèce, alors même que le marché en cause était un MAPA, soumis à une simple obligation de hiérarchisation des critères, le RC précisait que le mémoire technique serait apprécié au regard des sous-critères suivants : l’organisation du chantier, les contraintes du site, les fournitures, le programme d’exécution et les mesures environnementales, d’hygiène et de sécurité, chacun de ces sous-critères étant lui-même précisé. Il résulte du rapport d’analyse des offres que le critère de la valeur du mémoire technique a finalement été apprécié en fonction de l’organisation de chantier, pour 25 points (lui-même apprécié au regard des moyens en personnel et matériel, pour 8 points, de la qualification et des références des personnes, pour 5 points, de l’interlocuteur référent, pour 2 points, et de la méthodologie des travaux, pour 10 points), des contraintes de chantier, pour 40 points (elles-mêmes appréciées au regard des informations des propriétaires, pour 5 points, du maintien de l’accessibilité, de la circulation et de la gestion de la circulation des engins, pour 10 points, de la zone de chantier, pour 5 points, du stockage et de la décharge, pour 5 points, et de la visite du site, des points sensibles et des photographies annotées, pour 15 points), des fournitures et des fournisseurs, pour 10 points (eux-mêmes appréciés en fonction des fournitures et fournisseurs, pour 5 points, et des fiches techniques, pour 5 points), du programme d’exécution, pour 15 points (lui-même apprécié au regard du programme d’exécution, pour 5 points, de la durée prévisionnelle des travaux, pour 5 points, et du phasage des travaux, pour 5 points), et enfin de l’hygiène, de la sécurité et des mesures environnementales, pour 10 points (elles-mêmes appréciées au regard de l’hygiène et de la sécurité, pour 5 points, et des mesures environnementales, pour 5 points). Eu égard à la nature et à l’importance de cette pondération, les sous-critères mis en œuvre dans l’analyse des offres doivent être regardés comme ayant constitué des critères de sélection. Ainsi, leur pondération et hiérarchisation auraient dû être portées à la connaissance des candidats. Eu égard à l’influence déterminante qu’a pu exercer ce manquement, celui-ci est susceptible d’avoir lésé la société requérante. Ainsi, nonobstant la circonstance que la société requérante n’avait pas sollicité du pouvoir adjudicateur des informations sur la pondération et la hiérarchisation des sous-critères indiqués, il y a lieu d’annuler la procédure de passation dans son intégralité ».
Cette ordonnance illustre également l’importance du RAO dans le cadre d’un référé précontractuel, et souligne à nouveau à quel point la jurisprudence, pourtant constante du conseil d’Etat refusant au juge du référé le pouvoir d’enjoindre à l’acheteur la communication du rapport d’analyse des offres est critiquable.
publié le 27 janvier 2023
Si vous souhaitez afficher un prix à 0 euros, indiquez-le expressément, sous peine de rejet de votre offre
TA Besançon, ord. 17 janvier 2023, Sté Easypark, n°2202100
Dans cette affaire, un candidat avait souhaité répondre gratuitement à certains prix du BPU et n’avait pas (ou pas pu) affiché le chiffre zéro dans les cases correspondantes. L’acheteur avait donc jugé que cette offre était irrégulière dès lors que le bordereau des prix unitaires et le détail quantitatif estimatif n'avaient pas été remplis. Dans son recours ce candidat évincé faisait toutefois valoir qu'il n'avait pas omis de remplir ces lignes mais qu'il avait souhaité rendre les prestations afférentes gratuites. Le juge ne pas suivre le requérant et va au contraire considérer que « si la société précise qu'elle a cherché à indiquer un tarif de zéro euro sur les prestations litigieuses, les tableaux, tel qu'ils ont été reçus par la ville, comprenaient des lignes à zéro euro comme dans les documents de consultation, sans aucune précision permettant de comprendre qu'il s'agissait d'un prix de zéro euro. En outre, aucun autre élément de l'offre de la société requérante ne précisait qu'il s'agissait de prestations gratuites dès lors que son mémoire technique évoquait une " optimisation financière ", des " prix très compétitifs ", la " répartition des coûts de la prestation " et le " caractère anormalement bas de son offre ". Il en résulte que la ville ne pouvait déduire sans ambiguïté de son BPU et du DQE que la société entendait rendre les prestations attachées à ces prestations gratuites. En outre, la ville n'était pas tenue de demander des éclaircissements sur ce point à la société. La ville pouvait écarter l'offre de la société requérante comme étant irrégulière sans entacher la procédure de passation en litige d'une méconnaissance des obligations de mise en concurrence ».
Moralité, quand vous souhaitez afficher un prix à 0 euros, indiquez-le expressément dans les documents financiers et en cas d’impossibilité matérielle, précisez ce point dans votre offre ou posez une question à l’acheteur avant de déposer votre offre.
publié le 24 janvier 2023
Répondre avec un sous-traitant c’est bien, en justifier c’est nettement mieux !
TA Pau, ord. 9 janvier 2023, Sté AED Groupe, n°2202776
En fonction de l’objet du marché, on a parfois besoin de répondre avec un sous-traitant. Dans ce cas, au stade de l’analyse des candidatures, les capacités technique, professionnelles et financières doivent être prises en compte de manière globale par l’acheteur.
Encore faut-il justifier précisément des capacités du sous-traitant, et de son engagement à exécuter le marché.
En attribuant le marché à deux entreprises n’ayant pas apporté ces justifications, les offices publics de l’habitat Office 64 de l’habitat et Habitat sud Atlantic ont manqué à leurs obligations et la procédure a été annulée : « en ce qui concerne le lot n°1, il n’est pas contesté que la société ADX groupe a justifié de l’ensemble des renseignements exigés relatifs à sa capacité économique et financière, ainsi qu’à ses références professionnelles et à sa capacité technique, à l’exception de l’agrément N2. Il résulte de l’instruction que cette société fait appel à la société Algade en qualité de sous-traitant, qui est titulaire de l’agrément N2 […] les offices publics de l’habitat ne produisent ni la liste des principales prestations réalisées par la société Algade au cours des trois dernières années, ni leurs montants, leurs dates et leurs destinataires. Par ailleurs, ils ne produisent pas non plus l’engagement écrit de cette société de disposer des capacités pour l’exécution des prestations devant faire l’objet d’une sous-traitance. Enfin, les offices publics de l’habitat n’allèguent ni ne démontrent qu’ils ont demandé à la société ADX groupe de compléter leur dossier de candidature afin qu’elle justifie pleinement de ses capacités.
En ce qui concerne le lot n°2, il n’est pas non plus contesté que la société AC environnement a justifié de l’ensemble des renseignements exigés relatifs à sa capacité économique et financière, ainsi qu’à ses références professionnelles et à sa capacité technique, à l’exception de l’agrément N2. S’il résulte de l’instruction que cette société fait appel à la société Performa environnement en qualité de sous-traitant, qui est titulaire de l’agrément N2, les offices publics de l’habitat ne produisent aucun des documents justifiant des capacités professionnelles, techniques et financières de cette société sous-traitante exigés par le règlement de consultation. Par ailleurs, s’ils produisent une attestation de la société AC environnement selon laquelle elle s’engage à sous-traiter au profit de la société Performa environnement la mission de dépistage de radon, ils ne justifient pas non plus de l’engagement écrit de cette société de disposer des capacités pour l’exécution des prestations devant faire l’objet d’une sous-traitance.
Qu’en examinant les offres des sociétés ADX groupe et AC environnement dont les dossiers ne permettaient pas de prendre en compte les capacités professionnelles, techniques et financières d’un opérateur auquel il était envisagé de confier l’exécution d’une partie des prestations du marché, le pouvoir adjudicateur a manqué à ses obligations de mise en concurrence. Le choix d’une offre présentée par un candidat irrégulièrement retenu est, ainsi qu’il a été dit au point précédent, susceptible de l’avoir lésée, quel qu’ait été son propre rang de classement à l’issue du jugement des offres. Par suite, la société requérante est fondée, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres manquements invoqués, à demander, d’une part, l’annulation de la procédure de passation du marché au litige à compter de l’examen des candidatures ».
publié le 23 janvier 2023
Conditions dérogatoires pour le recours à la procédure négociée : le Conseil d’Etat enfonce le clou
CE, 21 décembre 2022, centres hospitaliers d'Ajaccio et de Bastia, n°464685
Pas de cadeau de noël en avance pour les acheteurs publics de la part des juges du Palais-Royal….
Le Conseil d’Etat vient de confirmer la solution retenue par le juge des référés du TA de Bastia en mai dernier selon laquelle l’expérience de l’acheteur pouvait constituer un obstacle au recours à la procédure avec négociation (TA Bastia, ord. 20 mai 2022, Sté Oyonnair, n°2200574, commentée sur infra sur ce site).
Les centres hospitaliers d’Ajaccio et de Bastia avaient mis en œuvre une procédure avec négociation sur le fondement des dispositions des 4° et 5° de l’article R. 2124-3 du code de la commande publique (circonstances particulières liées à la nature du marché, à sa complexité ou au montage juridique et financier et impossibilité de définir les spécificités techniques avec une précision suffisante). Or, dans son ordonnance, le juge avait considéré qu’« au regard de l’expérience que les centres hospitaliers d’Ajaccio et de Bastia ont acquis de longue date en la matière, l’évacuation sanitaire par la voie aéronautique des patients ne saurait être regardée comme une particularité du marché liée à sa nature ou à sa complexité justifiant le recours à la procédure négociée ».
Le Conseil d’Etat confirme à son tour qu’« il résulte des dispositions précitées du 4° de l'article R.2124-3 que le recours à la procédure négociée est subordonné à l'existence de circonstances particulières liées à la nature du marché, à sa complexité, ou au montage juridique et financier, lesquelles doivent s'apprécier au regard des capacités du pouvoir adjudicateur à passer le marché selon la procédure normale d'appel d'offres. Par suite, les requérants ne sont pas fondés à soutenir qu'en tenant compte de l'expérience acquise par le pouvoir adjudicateur dans le domaine des évacuations sanitaires par voie aérienne, l'auteur de l'ordonnance attaquée aurait commis une erreur de droit ».
En outre le Conseil d’Etat confirme que le recours irrégulier à la procédure négociée est susceptible de léser le candidat évincé.
publié le 22 décembre 2022
Non allotissement : un choix qui doit être justifié sous peine d’annulation de la procédure
TA Mayotte, ord. 9 décembre 2022, SELARL de Pathologie, n°2205595
En cas de prestations distinctes, le principe est que l’acheteur doit allotir son marché et l’exception est qu’il peut recourir à un marché global. C’est pour cette raison que le code de la commande publique impose à l’acheteur de justifier le choix du marché global. A défaut, la procédure encourt un risque d’annulation, comme vient de le rappeler le TA de Mayotte.
Il s’agissait en l’espèce d’un marché d’analyses médicales, non alloti, sans autre précision. Un candidat évincé soutenait que ce marché aurait dû distinguer les analyses, la biologie médicale spécialisée, la cytogénétique ou génétique moléculaire et l'anatomo-pathologie, et ainsi faire l’objet d’un allotissement.
Malgré les quelques justifications apportées en cours d’instance, le juge sanctionne ce non-allotissement : « le RC indique, sans justification, qu'il n'est pas prévu de décomposition en lots. Toutefois, eu égard à la nature des prestations objet du contrat dont il n'est pas contesté à la barre qu'elles sont techniquement très distinctes et sont d'ailleurs sous-traitées pour certaines habituellement, l'absence d'allotissement n'est justifié par le Centre Hospitalier de Mayotte par aucune circonstance objectivement établie. Les circonstances alléguées selon lesquelles le centre hospitalier de la Martinique aurait procédé de cette manière, que le caractère insulaire du département constituerait un frein à l'allotissement du marché litigieux, qu'il existerait un usage en la matière ou que ce serait plus pratique sont sans incidence sur la régularité de la procédure d'appel d'offres. Dans ces conditions, la société requérante est fondée à soutenir que le pouvoir adjudicateur a méconnu le principe posé par les dispositions de l'article L.2113-10 du code de la commande publique. Eu égard à sa nature, ce vice a été susceptible de léser la société requérante qui a été privée de la possibilité d'obtenir l'attribution d'un ou plusieurs lots. Compte tenu de la portée du manquement précité, il y a lieu d'annuler en son entier la procédure litigieuse ».
Pensez donc à bien justifier les raisons pour lesquelles vous choisissez le marché global.
publié le 15 décembre 2022
Le référé précontractuel peut permettre à un candidat, d’obtenir l’exclusion d’un AMO partial
TA Guadeloupe, ord. 8 décembre 2022, SHAM, n°2201276
Qui a dit que le référé précontractuel n’était pas efficace ? Petite illustration des mesures qu’il permet d’obtenir. Dans cette affaire, une société devait déposer son offre le 9 décembre 2022, mais avait appris que l’AMO qui serait amené à intervenir était lié avec un futur candidat à ce marché. Le requérant a donc saisi le juge des référés avant même le dépôt de son offre pour demander l’exclusion de cet AMO, ce qu’il a obtenir en raison des liens avérés avec ledit candidat et l’atteinte au principe d’impartialité : « la société ACAOP [AMO] est dirigée par M. C qui, après avoir dirigé la société Protectas, qui intervenait alors en qualité d’AMO, a créé, en 2009, un cabinet de courtage dénommé BEAH, avant de créer en 2019, la société ACAOP qui intervient en tant qu'AMO. Or, si M. C a cédé les parts qu'il détenait au sein de la société BEAH en 2019, il n'est pas contesté qu'il entretient toujours des liens amicaux avec M. A, qui était le directeur général de BEAH lorsqu'il en était le président, et qui dirige actuellement la société Emileo, détentrice à hauteur de 100 % des parts de BEAH à travers la détention à 100 % de la société BE Assurances. Ensuite, il résulte de l'instruction que M. C a consenti un prêt au profit de la société BE Assurances, d'un montant total de la cession de ses parts, soit de 223 000 euros à rembourser au plus tard le 15 décembre 2022, soit en pleine période d'analyse des offres de la procédure de passation litigieuse. Enfin, la société requérante produit à l'appui de ses allégations plusieurs articles signés en février 2014, mai 2018 et janvier 2019, dans lesquels M. C a fait preuve d'une animosité particulière à l'égard de la SHAM. Il résulte de ce qui précède que, même si les liens entre M. C et le BEAH tendent à se distendre, la SHAM est fondée à soutenir qu'elle peut encore, à ce jour, légitimement nourrir un doute sur l'impartialité de la procédure lancée par le CHU, compte tenu du caractère encore très récent de leur collaboration, à un haut niveau de responsabilité, et de la persistance d'intérêts financiers communs du fait du prêt de 223 000 euros consenti par M. C au profit de la société BE Assurances qui détient 100% du BEAH. Dès lors qu'il n'est pas établi que la société ACAOP aurait, en l'espèce, contribué à la rédaction du CCTP, la SHAM est, par suite, seulement fondée à demander au juge des référés précontractuels, sur le fondement du I de l'article L.551-2 du CJA, des mesures visant à prévenir l'atteinte au principe d'impartialité au stade de l'analyse des offres. Celle-ci devant avoir lieu à compter du 9 décembre 2022, date limite de dépôt des offres, il y a lieu d'enjoindre au CHU, s'il entend poursuivre la procédure de passation, d'exclure la société ACAOP de l'analyse des offres ».
Moralité, si vous avez un doute légitime sur l’AMO qui sera chargé d’analyser les offres, il ne faut pas hésiter à agir en amont de la procédure, avant même le dépôt des offres.
publié le 12 décembre 2022
Rappel : une offre supérieure au montant maximum du marché ne peut pas être qualifiée d’offre inacceptable
TA Guadeloupe, ord. 7 décembre 2022, Sté Global sécurité privée, n°2203116
Petit rappel salutaire à propos d’une offre dont le montant dépasse le montant maximum prévu au marché. Dans une telle hypothèse, cette offre ne peut pas être qualifiée d’inacceptable dès lors qu’elle ne dépasse pas les crédits budgétaires alloués au marché en cause. Autrement dit, dès lors que l’offre est finançable, elle est acceptable : « aux termes de l'article L. 2152-1 du code de la commande publique : " L'acheteur écarte les offres irrégulières, inacceptables ou inappropriées. ". Aux termes de l'article L. 2152-3 du même code : " Une offre inacceptable est une offre dont le prix excède les crédits budgétaires alloués au marché, déterminés et établis avant le lancement de la procédure ". Le CHU fait valoir que le recours est irrecevable dès lors que l'offre de la société requérante était inacceptable puisque supérieure au montant maximum du marché. Toutefois, il ne résulte pas de l'instruction que le pouvoir adjudicateur aurait pris une décision fixant le montant des crédits budgétaires alloués au marché en cause avant le lancement de la procédure contestée. En outre, le règlement de la consultation précise à son article 1-3 que le montant annuel des prestations forfaitaires est estimé à 2 203 602 euros auquel s'ajoute des prestations supplémentaires exceptionnelles dont le montant annuel peut être estimé à 661 081 euros. Par suite, le montant maximum de l'accord cadre de 2 203 602 euros comme l'affirme le CHU dans sa lettre du 4 novembre 2022 ne peut être regardé comme constituant le montant des crédits budgétaires alloués au marché. Enfin, il ne résulte pas de l'instruction que le CHU ne serait pas en mesure de financer l'offre de la société requérante ; que la société Global sécurité privée est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que son offre a été rejetée comme inacceptable au motif que le montant de celle-ci excède le montant maximum du marché. Cette irrégularité, en tant qu'elle a fait obstacle à l'examen de son offre, l'a nécessairement lésée. La procédure de passation du marché relatif à des prestations de gardiennage et de surveillance du CHU de la Guadeloupe et du pôle Parent-enfant doit, par suite, être annulée au stade de l'analyse des offres ».
publié le 9 décembre 2022
Quand l’erreur de dépôt de son offre par le candidat doit être réparée par l’acheteur, sous peine d’annulation de la procédure
TA Amiens, ord. 8 novembre 2022, Sté RVM, n°2203116
Solution audacieuse prise par le TA d’Amiens dans cette ordonnance…un candidat souhaitant répondre à la procédure 2022S13, correspondant à un lot d’un marché a, par erreur, déposé son offre sur la plateforme de dématérialisation du même acheteur, mais au titre de la procédure 2022S14 (un autre lot du même marché). Ayant vu son offre écartée comme irrégulière, ce candidat a alors introduit un référé précontractuel. Bien lui en a pris, puisque le juge considère qu’en ne rectifiant par l’erreur du candidat, et refusant d’analyser son offre au titre de la bonne procédure, l’acheteur avait commis un manquement à ses obligations de publicité et de mise en concurrence, solution intéressante pour les candidats étourdis, mais discutable sur le plan juridique car jusqu’où l’acheteur doit-il alors rattraper les erreurs des candidats ?
Le juge en tout cas considère que « la société RVM, qui souhaitait se porter candidate à l’obtention du marché litigieux référencé n°2022S13, a déposé, par erreur, son dossier de candidature et d’offre sur le profil d’acheteur du pouvoir adjudicateur dans le tiroir numérique dédié au marché référencé n°2022S14 relatif à un autre lot de l’opération, dont les dates limites de remise des offres et candidatures étaient identiques. Il résulte également de l’instruction et n’est au demeurant pas contesté que les pièces transmises par la société requérante au titre de cette dernière procédure correspondaient en tout point au marché référencé n°2022S13, ainsi que le précisait l’ensemble des pièces qu’elle avait remises dans les délais impartis. Dans ces conditions, alors que ces pièces ne pouvaient être manifestement regardées comme présentées au titre d’une autre procédure et que leur rétablissement au titre de la procédure de passation litigieuse ne nécessitait en l’espèce aucune analyse non plus qu’aucune contrainte particulière pour le pouvoir adjudicateur, l’erreur commise par la société requérante ne pouvait dispenser celui-ci de prendre en considération sa candidature et son offre. Il s’ensuit qu’en considérant que cette société n’était pas candidate au marché référencé n°2022S13 et en n’analysant pas à ce titre l’offre qu’elle avait remise, la communauté d’agglomération a manqué à ses obligations de mise en concurrence, ce qui a directement lésé la société requérante ».
Le candidat est donc repéché et verra donc bien son offre analysée. Gageons pour lui (mais pas pour les autres) qu’il se verra déclaré attributaire…
publié le 21 novembre 2022
Passer en procédure négociée après infructuosité : attention à ne pas modifier substantiellement le marché !
TA Mayotte, ord. 10 novembre 2022, SAS Mayotte Route Environnement, n°2205028
On sait que les cas de recours à la procédure négociée sont limitativement fixés par l'article R.2124-3 du code de la commande publique et strictement interprétés par la jurisprudence.
L’un des six cas de recours à la négociation concerne l’hypothèse d'un appel d'offres dans lequel seules des offres irrégulières ou inacceptables ont été déposées. Mais alors le texte ajoute que ce recours à la négociation est valable « pour autant que les conditions initiales du marché ne soient pas substantiellement modiées ».
En l’espèce, le rectorat de Mayotte avait lancé un appel d’offres pour un marché de travaux pour lequel deux offres avaient été déposées largement au-dessus des crédits alloués. L’administration avait alors décidé de négocier avec ces deux candidats, tout en modifiant de manière importante le projet (notamment pour en diminuer l’estimation). Pour ce motif le candidat évincé, bien qu’ayant participé à la négociation, parvient à obtenir l’annulation de la procédure négociée : « pour justifier le recours à la procédure négociée, le rectorat de Mayotte fait valoir que l'appel d'offres a été déclaré infructueux, seules des offres inacceptables économiquement ayant été reçues [….] le prix des offres déposées pour le lot n°2 excédait les crédits budgétaires alloués au marché, déterminés et établis avant le lancement de la procédure et étaient donc inacceptables, de telle sorte que le pouvoir adjudicateur pouvait légalement engager une procédure négociée. Toutefois, il résulte de l'instruction et notamment du nouveau DCE communiqué aux soumissionnaires le 21 juillet 2022 que, dans le souci de respecter l'enveloppe budgétaire, le projet initial avait été substantiellement diminué. Les requérantes font valoir, sans être contestées sur ce point, que cette réduction du format initial du projet représenterait 20% de sa valeur de 30% de sa surface. Dès lors, l'administration ne pouvait pas recourir à la procédure du marché négocié sans méconnaître les dispositions précitées de l'article R. 2124-3, 6° du code de la commande publique, mais devait procéder à un nouvel appel d'offres […] que le groupement MRE-MAMI-SART est fondé à soutenir que le marché litigieux a été conclu à la suite d'une procédure irrégulière et doit être annulée pour ce motif. La circonstance que les sociétés requérantes soient ou non de bonne foi et aient participé à la phase de négociation du marché en cause est sans incidence sur le présent litige ».
publié le 17 novembre 2022
Quand les commentaires et avis en ligne (sur l’App Store) entrainent l’annulation de la procédure de passation
TA Toulouse, ord. 10 novembre 2022, Sté Polymorph Software, n°2205749, n°2204878
Le marché en cause avait pour objet la création d'un outil d'animation numérique en réalité augmentée. Les candidats avaient fait état de leurs différentes références, consistant en des réalisations d’application disponibles sur les « app stores ». Or, sur ces app stores, les internautes ayant téléchargé ces applications peuvent faire des commentaires en ligne.
C’est notamment sur ces avis que s’était fondé l’acheteur pour rejeter l’offre d’un candidat, au motif que certains commentaires étaient négatifs : « Il ressort RAO que, pour apprécier l'offre au regard du critère " valeur technique ", et plus particulièrement au regard du sous-critère " Niveau de qualité des prestations déjà réalisées pour d'autres territoires ", qui est pondéré à 20 sur 65 points, le Syndicat a pris en considération les appréciations formulées par les utilisateurs sur les boutiques d'applications, en langue anglaise les " app stores ", à l'égard d'outils d'animation numérique que le groupement avait signalés au titre de ses réalisations de référence. Il est ainsi fait état, dans le rapport d'analyse, que " Parmi les réalisations mises en avant, certaines apparaissent comme mal notées quand elles ont été mises en ligne". Dans le courriel du 23 septembre 2022 mentionné au point 6 ci-dessus, le Syndicat indique expressément, en réponse à la sollicitation du groupement, que " nous avons également pris en compte les notations dans les stores des applications des prestataires dans notre analyse du marché ».
Après avoir estimé que ces commentaires en ligne ne pouvaient pas apparaitre comme pertinent, le juge considère qu’il s’agissait d’un sous sous-critère non annoncé qui, en raison de la lésion qu’il implique entraine l’annulation de la procédure : « alors même qu'il apparaît douteux que ces appréciations de tiers, dont l'identité et les conditions d'utilisation des outils en question sont inconnues, constituent un moyen pertinent de mesure de la qualité intrinsèque desdits outils, et dans la mesure où ces appréciations sont susceptibles d'exercer une influence sur la présentation des offres par les candidats, lesquels auraient pu choisir, s'ils avaient été avertis, de se prévaloir de telles ou telles de leurs applications en fonction des scores de notation obtenus dans ces " app stores ", ou de faire en sorte d'obtenir davantage de notations sur les applications concernées par le biais de panels utilisateurs, le Syndicat doit être regardé, en les ayant pris en compte dans son évaluation du niveau de qualité des prestations déjà réalisées pour d'autres territoires, comme ayant fait usage d'un sous-critère à part entière, dont au demeurant il ne précise pas le poids relatif dans la notation sur les 20 points affectés à ce sous-critère. Ce sous-critère n'ayant pas été préalablement porté à la connaissance des candidats à la consultation, et le groupement n'ayant obtenu que la note de 10 sur 20 sur le sous-critère " Niveau de qualité des prestations déjà réalisées pour d'autres territoires " il est fondé à soutenir que le Syndicat a méconnu ses obligations de publicité et de mise en concurrence. Par suite, il y a lieu d'annuler la procédure de passation ».
publié le 16 novembre 2022
Manquements graves dans un précédent marché et exclusion de la procédure de passation : des précisons sur l’office du juge des référés précontractuels
TA Nice, ord. 4 novembre 2022, Sté Sté Insolit Créations, n°2204878
L’article L.2141-7 du code de la commande publique permet d’exclure d’une procédure de passation les candidats qui « au cours des trois années précédentes, ont dû verser des dommages et intérêts, ont été sanctionnés par une résiliation ou ont fait l'objet d'une sanction comparable du fait d'un manquement grave ou persistant à leurs obligations contractuelles lors de l'exécution d'un contrat de la commande publique antérieur ». Cette exclusion est rangée dans la catégorie des « exclusions à l'appréciation de l'acheteur ».
Dans l’affaire qui était soumise au juge des référés précontractuels du TA de Nice, une société avait vu sa candidature écartée sur le fondement de cette disposition, au motif qu’au cours du carnaval précédent, sa défaillance avait entraîné la résiliation pour faute de son marché (indisponibilité des chars le jour du festival). Or cette société mettait en avant qu’elle n’était pas la seule responsable de cette résiliation passée et que son exclusion de la nouvelle procédure de ne justifiait pas.
Le TA profite de cette occasion pour fixer l’office du juge des référé précontractuels lorsqu’il est sais d’un tel manquement : « ces dispositions permettent aux acheteurs d’exclure de la procédure de passation d’un marché public une personne qui peut être regardée, au vu d’éléments précis et circonstanciés, comme ayant été gravement défaillant dans l’exécution de ses obligations contractuelles, dans le cadre de d’un précédent contrat et qui n’a pas établi, en réponse à la demande que l’acheteur lui a adressée à cette fin, que son professionnalisme et sa fiabilité ne peuvent plus être mis en cause et que sa participation à la procédure n’est pas de nature à porter atteinte à l’égalité de traitement entre les candidats. S’il incombe au juge des référés saisi sur le fondement de l’article L.551 du CJA de vérifier le bien-fondé des motifs de l’exclusion d’un candidat à une procédure d’appel d’offres, il relève uniquement de son office, lorsque l’exclusion est fondée sur l’article L.2141-7 du code de la commande publique, de vérifier, d’une part, la matérialité des résiliations ou des sanctions ainsi que des manquements qui les ont motivées et l’absence d’erreur manifeste d’appréciation quant à la gravité desdits manquements aux obligations contractuelles et, d’autre part, la mise en œuvre de la procédure contradictoire de l’article L.2141-11 précité. Il ne lui appartient pas, en dehors de ces éléments qui relèvent de l’évidence, de statuer sur la régularité des résiliations ou sanctions prononcées par le pouvoir adjudicateur, une telle question relevant de la compétence du juge du contrat ».
Après avoir relevé que la décision de résiliation pour faute était bien existante et qu’elle n’était pas entachée d’une erreur manifeste d’appréciation, ainsi que l’existence de la procédure vérification mise en œuvre par la ville de Nice (à laquelle la société n’avait apporté que des réponses très générales), le juge confirme donc le bien-fondé de l’exclusion de ce soumissionnaire au stade de la candidature.
publié le 14 novembre 2022
Critère RSE : nouvelle validation après une analyse tout en finesse du tribunal administratif de Marseille
TA Marseille, ord. 25 octobre 2022, Sté Fauché Energie, n°2208226
Dans cette affaire, le CEA (Commissariat à l’Energie Atomique et aux Energies Alternatives) avait mis en œuvre une procédure concurrentielle avec négociation pour la fourniture de groupes électrogènes pour le réacteur nucléaire du site de Cadarache. Le critère de choix des offres n°3 était intitulé « cohérence du planning, organisation mise en place dont le justificatif du dimensionnement des ressources et prise en compte des critères de qualité, sécurité et environnement (QSE) ». Au titre de ce dernier élément, les candidats devaient fournir les documents suivants : un descriptif de la politique et de l’organisation en matière de sécurité générale, une annexe relative à la politique et l’organisation sécurité ainsi que son déploiement sur le site, les résultats des candidats en matière de sécurité (taux de fréquence des accidents survenus au personnel de l’entreprise et de ses sous-traitants pendant les trois dernières années, taux de gravité, objectifs de politique sécurité), un descriptif de son organisation qualité, un descriptif de la démarche d’amélioration continue de son système de management environnemental et de ses performances environnementales (en conformité avec la norme ISO 14001) et enfin un descriptif des mesures qui seront mises en œuvre afin de maîtriser voire réduire l’impact environnemental de la prestation en termes d’émission de CO2, de rejets, de déchets, d’utilisation de matières premières et de ressources naturelles, de consommation d’énergie.
Un candidat évincé mettait en avant cet aspect du critère n°3 méconnaissait les principes de liberté d’accès à la commande publique et d’égalité de traitement des candidats au motif que la communication des pièces demandées n’avait d’autre but pour le CEA que d’apprécier la politique générale de l’entreprise et non les mesures spécifiques que celle-ci entendait mettre en œuvre au titre du marché en litige et ne présentant donc pas de lien avec l’objet et les conditions d’exécution de ce marché.
Le juge va toutefois donner tort à l’entreprise, en considérant qu’en dépit de leur aspect généraliste, les exigences demandées au candidat à cet égard avaient été appréciées par l’acheteur en fonction de la manière dont elles seraient appliquées concrètement sur le chantier objet du marché : « il résulte toutefois de l’instruction que l’annexe 4 au règlement de la consultation présentait un questionnaire sur les aspects qualité, santé, sécurité et environnement destiné à apprécier plus précisément la mise en œuvre concrète et effective des règles et principes figurant dans les documents contractuels cités dans le cadre de l’exécution du chantier. Il ne résulte pas de l’instruction que les questions du CEA relatives notamment au traitement des déchets, à la fréquence et à la gravité des accidents du travail ou à la mise en œuvre de la mixité homme/femme seraient dépourvus de tout lien avec l’objet ou l’exécution du marché notamment en matière de management et de sécurité de ses personnels sur site, celles-ci permettant une appréciation plus fine des méthodologies et actions en ces domaines de la candidate qui aura à les décliner sur un chantier se déroulant sur un site nucléaire soumis à des règlementations de sécurité rigoureuses. Ainsi, il ressort de l’extrait du rapport d’analyse des offres que le CEA a procédé méthodiquement au rapprochement des réponses qui lui ont été fournies avec les documents contractuels ou les obligations légales des employeurs et apprécier les modalités concrètes de mise en œuvre dans le cadre de l’exécution du marché. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des principes de liberté d’accès à la commande publique et d’égalité de traitement des candidats au motif que les pièces demandées ne visaient qu’à apprécier la politique générale de l’entreprise doit être écarté ».
publié le 31 octobre 2022
Exigence de bennes en parfait état de fonctionnement : les bennes recyclées ça marche aussi !
TA Grenoble, ord. 20 octobre 2022, Sté Purfer, n°2206309
Dans cette affaire, un acheteur avait mis en œuvre une procédure de passation pour un marché de location de bennes pour des déchetteries. Le CCTP prévoyait, comme exigence, que « les bennes seront maintenues en bon état général (fonctionnalité, peinture, aspect, propreté). Elles seront en parfait état de fonctionnement et respecteront sans aucune dérogation les normes et règles relatives à la sécurité ». Une société avait proposé des bennes recyclées mais remises en état. Son offre avait été rejetée comme irrégulière, car ne respectant pas l’exigence du CCTP.
En référé, l’offre est considérée comme régulière et la procédure est annulée au stade de l’analyse des offres pour permettre sa prise en compte dans l’analyse : « que la société Purfer proposait d’utiliser dans le cadre de ce marché des bennes déjà amorties et actuellement utilisées sur les déchetteries de la CCPEVA en les remettant en état (sablage/peinture). Dès lors que l’entreprise s’était engagée dans son offre à remettre en état les bennes en cas d’attribution du marché, ce qui signifiait nécessairement qu’elles seraient en état dès le début d’exécution de ce marché, la communauté de communes ne pouvait écarter l’offre de la société requérante au motif que les bennes ne correspondaient pas aux exigences du CCTP stipulées à l’article 8 précité. Ce manquement, qui se rapporte à l’organisation même de la mise en concurrence, est susceptible d’avoir lésé la société requérante dès lors que son offre n’a pas été examinée par le pouvoir adjudicateur ».
publié le 24 octobre 2022
Diffusion d’informations confidentielles en cours de procédure : vas voir ailleurs si j’y suis
TA Toulon, ord. 14 octobre 2022, Sté Naval Group, n°2202630
Les marchés de défense et de sécurité sont, la plupart du temps, des marchés sensibles, mettant en concurrence des groupes qui tiennent particulièrement (et c’est bien normal) à la confidentialité des offres, notamment pour protéger leurs technologies.
Au cas présent, il s’agissait d’un marché public de maintien en conditions opérationnelles de frégates militaires. Le candidat évincé mettait en avant le fait que le ministère des armées avait rompu la confidentialité attachée à certaines informations relatives à Naval Group en divulguant aux candidats des documents et informations lui appartenant qu’il n’était pas autorisé à diffuser (des plans de plans de maintenance notamment). Une telle violation constitue en principe un manquement à ses obligations de publicité et de mise en concurrence de la part de l’acheteur.
Pourtant, le juge des référés va valider cette diffusion au nom de l’égalité de traitement, tout en indiquant à la société qu’elle pouvait obtenir réparation pour cette diffusion, mais devant une autre juridiction : « lorsqu’est constatée, au cours de la procédure de passation, qu’ont été divulguées des informations relatives à l’offre déposée par un candidat à l’attribution du contrat, il appartient à la personne publique d’apprécier si cette divulgation peut être regardée comme étant de nature à porter atteinte au principe d’égalité entre les candidats. Il ressort des pièces du dossier que compte tenu de la nature et du contenu des informations transmises par les services de l’Etat aux deux candidats en présence, leur communication était nécessaire pour assurer une participation égale de ces derniers à la mise en concurrence. Ainsi, cette divulgation doit, en tout état de cause, être regardée comme ayant été de nature à garantir une stricte égalité entre les candidats. La circonstance que cette communication ait pu se faire en violation de ses droits de propriété industrielle n’interdit pas à la société Naval Group de faire constater cette situation par la juridiction compétente et, le cas échéant, de demander réparation des préjudices qu’elle aurait pu ainsi subir ».
Position pour le moins paradoxale donc qui consiste à valider une éventuelle irrégularité au nom de l’égalité de traitement, tout en renvoyant à une autre juridiction le soin de la sanctionner.
publié le 20 octobre 2022
Limitation du nombre de candidats admis à déposer une offre : le mode d’emploi rappelé par le Conseil d’Etat
CE, 12 octobre 2022, Nantes Métropole, n°464074
Nantes métropole avait mis en œuvre une procédure négociée pour la passation d'un accord-cadre mono-attributaire de fourniture et de maintenance de postes de travail informatiques et d'équipements connectés, en limitant le nombre de candidats admis à déposer une offre. Un soumissionnaire, recalé sans avoir pu déposer son offre, avait donc saisi le TA de Nantes d’un référé précontractuel. La procédure ayant été annulée, Nantes Métropole a saisi le Conseil d’Etat. Ce dernier juge, dans un considérant de principe, que « lorsque le pouvoir adjudicateur décide de limiter le nombre des candidats admis à présenter une offre, il lui appartient, pour l'application de ces dispositions, d'assurer l'information appropriée des candidats sur les critères de sélection de ces candidatures dès l'engagement de la procédure d'attribution du marché, dans l'avis d'appel public à concurrence ou le cahier des charges tenu à la disposition des candidats. Cette information appropriée suppose que le pouvoir adjudicateur indique aussi les documents ou renseignements au vu desquels il entend opérer la sélection des candidatures. Par ailleurs, si le pouvoir adjudicateur entend fixer des niveaux minimaux de capacité, ces derniers doivent aussi être portés à la connaissance des candidats. Cette information appropriée des candidats n'implique en revanche pas que le pouvoir adjudicateur indique les conditions de mise en œuvre des critères de sélection des candidatures, sauf dans l'hypothèse où ces conditions, si elles avaient été initialement connues, auraient été de nature à susciter d'autres candidatures ou à retenir d'autres candidats ». Ce faisant, le Conseil d’Etat transpose sa jurisprudence sur les critères de choix des offres aux critères de choix des candidatures.
Au cas d’espèce, la haute assemblée confirme que le candidat évincé a été bien été écarté au regard des seuls critères de choix des candidatures mentionnés au RC et rejette donc sa requête, après avoir annulé l’ordonnance de première instance.
publié le 13 octobre 2022
Irrégularité VS irrégularité : à qui perd gagne
TA Polynésie française, ord.28 septembre 2022, Sté Boyer, n°2200384
Un candidat évincé d’une procédure de marché de travaux mettait en avant le fait que l’attributaire avait déposé une offre irrégulière sur plusieurs points et aurait donc dû être écartée avant tout examen. Le requérant demandait donc une annulation partielle avec reprise au stade de l’examen des offres et exclusion de l’offre irrégulière.
En défense, l’attributaire a alors fait valoir que l’offre du candidat évincé étant elle-même irrégulière, elle ne pouvait être lésée par les irrégularités de son offre.
Mais on sait que désormais, « la circonstance que l’offre du concurrent évincé, auteur du référé précontractuel, soit irrégulière ne fait pas obstacle à ce qu’il puisse se prévaloir de l’irrégularité de l’offre de la société attributaire du contrat en litige ». Ainsi, selon le juge « l’irrégularité de l’offre du groupement [attributaire], qui ne respectait ainsi pas les exigences du dossier de consultation, dont il ne résulte pas de l’instruction qu’elles fussent inutiles, et aurait donc dû être écartée pour ce motif, a ainsi nécessairement lésé la société Boyer [candidat évincé], sans qu’ait d’incidence le fait qu’elle ait pu obtenir des notes supérieures à l’attributaire sur ces points ».
Le juge examine alors ensuite la conformité de l’offre du requérant et a également constaté son irrégularité.
Dès lors que ces deux offres étaient les seules déposées dans le cadre de cette procédure le juge annule la procédure de passation dans son intégralité : « l’offre de l’attributaire comme celle du concurrent évincé, seuls candidats à l’attribution du marché, étant irrégulières, il y a lieu, et sans qu’il soit besoin de statuer sur les autres moyens, de prononcer, dans son intégralité, l’annulation de la procédure de passation du marché ».
Moralité, tout le monde avait faux dans cette procédure : les deux candidats en ayant déposé une offre irrégulière, l’acheteur en ayant mal analysé leurs offres et ce dernier se retrouve donc à devoir relancer la totalité de sa procédure.
publié le 5 octobre 2022
Réponse de filiales d’une même holding : à la recherche de la notion de « stratégie commerciale propre ».
TA Besançon, ord. 16 septembre 2022, Sté Groupe Hélios, n°2201418
Depuis l’arrêt du Conseil d’Etat Métropole Aix-Marseille-Provence de décembre 2020 (commenté sur ce site), on sait que « si deux personnes morales différentes constituent en principe des opérateurs économiques distincts, elles doivent néanmoins être regardées comme un seul et même soumissionnaire lorsque le pouvoir adjudicateur constate leur absence d'autonomie commerciale, résultant notamment des liens étroits entre leurs actionnaires ou leurs dirigeants, qui peut se manifester par l'absence totale ou partielle de moyens distincts ou la similarité de leurs offres pour un même lot ».
Le tribunal administratif de Besançon s’est trouvé à devoir appliquer ce principe s’agissant de réponses de filiales d’une même holding s’étant vue attribuer, à deux, plusieurs lots et ce alors que le RC limitait le nombre de lots pouvant être attribués à un même candidat.
La question était donc de savoir si ces filiales étaient ou non suffisamment autonomes. Le juge va répondre par l’affirmative en considérant que ces filiales développaient une « stratégie commerciale autonome », notion qui regroupe plusieurs indices : « la requérante soutient qu’en désignant attributaire des lots n°1 et 2 la société Global Signalisation et des lots n°3 et 4 la société Bourgogne Franche-Comté Signaux, Grand Besançon Métropole n’a pas respecté la règle de limitation du nombre de lots susceptible d’être attribué à un même candidat dès lors que ces sociétés, filiales de la même société holding ne présentent pas d’autonomie commerciale. Il résulte toutefois de l’instruction que si ces sociétés, filiales détenues par la société Holding NS ont le même président également président directeur général de la société Holding NS, les deux sociétés attributaires des lots 1 à 4, ayant des sièges sociaux et des établissements géographiquement distincts, interviennent néanmoins chacune dans des domaines d’activités différents, disposent chacune de leurs propres moyens matériels et humains et n’ont d’ailleurs pas classé les lots dans le même ordre de priorité souhaité du fait de la localisation de leurs établissements, autant d’éléments de nature à caractériser une stratégie commerciale propre. Ainsi, les seules circonstances que les sociétés soient détenues par la même société holding et présidées par la même personne physique, ne peuvent suffire à établir une absence d’autonomie commerciale, et par suite, à regarder ces deux sociétés comme un seul et même soumissionnaire, alors que la société requérante n’établit pas que les offres des soumissionnaires seraient identiques dans leurs spécifications techniques ».
publié le 19 septembre 2022
Suspicion d’OAB : apporter des précisions c’est bien, fournir les justificatifs, c’est mieux.
TA Orléans, ord.26 août 2022, Sté Hexactitude, n°2202716
On sait que lorsqu’un acheteur public soupçonne un candidat d’avoir déposé une offre anormalement basse, il doit l’interroger sur son prix avant de rejeter son offre. On sait aussi que la réponse de l’entreprise doit être précise, et ne pas se contenter de fournir des généralités sur la manière dont elle travaille.
En l’espèce, une société avait répondu à un marché ayant pour objet la location, le transport, le montage, et le démontage de structures pour des manifestations de la commune de Blois et avait été interrogé sur le caractère anormalement bas de son offre, au vu de l’écart de prix avec l’estimation de la commune.
Ce candidat avait alors fourni des explications précises sur son prix, notamment en raison d’investissements réalisés les années précédents et déjà amortis, et de la proximité de son entrepôt lui permettant de ne pas subir la hausse des carburants. Ces explications paraissaient donc cohérentes. Son offre va néanmoins être rejetée comme anormalement basse et le juge va refuser de considérer que cette décision serait entachée d’une erreur manifeste d’appréciation, au motif que les explications fournies n’étaient accompagnées d’aucun justificatif : « l’offre de la société est sensiblement inférieure à l’estimation de prix attendu pour la prestation par la commune. Par ailleurs, alors que l’objet du marché en litige a également fait l’objet de procédures de passation et d’attributions en 2020 et 2021 et que les prestations sollicitées par la commune n’ont pas évolué, l’offre de la société requérante est également inférieure au prix qu’elle proposait en 2020, année où elle fut attributaire et en 2021, d’environ 9 000 euros, dans un contexte non contesté d’inflation sur les matières premières qui sont parties intégrantes du prix global et forfaitaire. Pour justifier le prix proposé dans la passation en litige, la société met en avant la circonstance, d’une part, qu’elle emploierait désormais un châssis plancher auto-lestant permettant de réduire les coûts de main d’œuvre et de transport, d’autre part, que le prix qu’elle a proposé tient compte des investissements en matériel déjà réalisés en 2020 pour l’exécution de la prestation identique, investissement qu’elle n’aura dès lors plus à réaliser. Elle soutient également que l’impact de l’augmentation du coût des carburants est faible au regard de la proximité des entrepôts. Elle n’assortit toutefois ses allégations d’aucune pièce justificative, alors que, par ailleurs, la commune conteste la nouveauté alléguée de la solution technique qui avait été présentée dans la réponse apportée par la société à la mise en concurrence de 2021. Il résulte de ces éléments que la commune n’a pas, en écartant l’offre de la société comme anormalement basse et de nature à compromettre l’exécution du marché, commis une erreur manifeste d’appréciation ».
Moralité : quand on vous interroge sur une suspicion d’OAB, pensez à fournir les justificatifs au courrier en réponse sur le prix proposé.
publié le 5 septembre 2022
Un marché de travaux peut, dans certains cas, être passé selon la procédure avec négociation
TA Bordeaux, ord.26 août 2022, Sté Miner, n°2204175
On sait qu’en application de l’article R.2124-3 du code de la commande publique, les pouvoirs adjudicateurs peuvent recourir à la procédure avec négociation dans six hypothèses limitativement énumérées et qui sont interprétées assez strictement par la jurisprudence.
La plupart du temps en effet, les juges sanctionnent le recours à cette procédure au motif que l’hypothèse retenue n’est en réalité pas justifiée.
En l’espèce, un OPH avait recouru à la procédure avec négociation pour un marché de travaux, en considérant que ce marché pouvait « être attribué sans négociation préalable du fait de circonstances particulières liées à sa nature, à sa complexité ou au montage juridique et financier ou en raison des risques qui s’y rattachent » (hypothèse n°4). Un candidat évincé contestait ce recours en affirmant que seul l’appel d’offres était possible.
Le juge va pourtant valider le recours à cette procédure dérogatoire en raison du montant et de la complexité des travaux envisagés, dans leur globalité, et ce même si le lot contesté n’était pas particulièrement complexe : « la société Miner soutient qu’il ne serait pas établi que l’objet du marché revêt des circonstances particulières justifiant le recours à une procédure avec négociation, au sens du 4° de l’article R. 2124-3 du code de la commande publique. Toutefois, il n’est pas sérieusement contesté que le marché en litige a pour objet la restructuration et l’extension d’un établissement recevant du public, un établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes de 74 lits, pour un coût estimé de 10 680 000 euros, avec démolition partielle des bâtiments, reconstruction de trois corps de bâtiments et création d’une coursive fermée reliant les différents bâtiments, selon un procédé de construction particulier tenant en un chantier dit en « filière sèche », c’est-à-dire sans utilisation d’eau. S’il est vrai que l’impact de ce procédé de construction sur le lot n° 12 « revêtement de sols » auquel la requérante s’est portée candidate est faible, il s’agissait cependant d’une circonstance particulière qui justifiait, pour l’ensemble de l’opération, le recours à la procédure concurrentielle avec négociation, sur le fondement du 4° de l’article R. 2124-3 du code de la commande publique ».
publié le 2 septembre 2022
Critère « RSE » : c’est validé par le TA de Bastia
TA Bastia, ord. 20 juillet 2022, Sté Corsica Ferries, n°2200797
On sait, depuis l’arrêt Nantes Métropole de 2018 du Conseil d’Etat que le critère de choix des offres tiré de l’analyse de la « responsabilité sociétale de l’entreprise », sans lien avec l’objet du marché, est irrégulier.
Néanmoins, depuis, plusieurs TA (ordonnances commentées sur ce site) ont pu parfois valider un tel critère, sans d’ailleurs souvent en justifier les raisons.
C’est dans cette lignée que le TA de Bastia vient de rendre une ordonnance sur ce point, et valide l’utilisation du critère « RSE ». Il s’agissait en l’espèce de la fameuse DSP de liaison maritime entre la Corse et le continent (qu’on pourra remercier des avancées qu’elle a permise en droit public tant elle a donné lieu à de nombreux contentieux).
Selon le juge « l’article L.3111-1 du code de la commande publique dispose que « la nature et l’étendue des besoins à satisfaire sont déterminées avant le lancement de la consultation en prenant en compte des objectifs de développement durable dans leurs dimensions économique, sociale et environnementale. » Aux termes de l’article L.3114-2 du même code : « Les conditions d’exécution d’un contrat de concession peuvent prendre en compte des considérations relatives à l’économie, à l’innovation, à l’environnement, au domaine social ou à l’emploi, à condition qu’elles soient liées à l’objet du contrat de concession ».
L’autorité concédante peut légalement prévoir d’apprécier les offres au regard d’un critère relatif aux performances sociales et environnementales notamment, dès lors que ce critère n’est pas discriminatoire et lui permet d’apprécier objectivement ces offres. Le troisième et dernier critère d’analyse des offres fixé par le règlement de consultation est relatif à la responsabilité sociétale de l’entreprise, pondéré à hauteur de 10 % de la note totale. Le règlement de consultation prévoit que le candidat présente ses actions et son niveau d’engagement ainsi que les moyens de les contrôler en matière de responsabilité sociétale des entreprises, à savoir, performances éthiques, sociales et environnementales. A cet effet, un guide de rédaction du plan des actions au titre de la responsabilité sociétale de l’entreprise est joint au règlement en annexe 3. L’article 22 du projet de convention prescrit quant à lui que le délégataire met en œuvre un plan d’actions portant, entre autres, sur la valorisation du capital humain et la préservation de l’environnement, notamment en termes d’optimisation des consommations des navires exploités. Il prévoit en outre que le délégataire présente dans le cadre de l’exécution de la convention trois projets d’expérimentation visant à réduire l’impact environnemental de la desserte maritime. Le dossier de consultation comporte ainsi des précisions suffisantes sur les attentes de la collectivité de Corse en matière de responsabilité sociétale des candidats. Ce critère qui n’est pas étranger aux conditions d’exécution de la délégation de service public, ne laisse pas à l’autorité concédante une marge de choix indéterminée et ne crée pas de rupture d’égalité entre les candidats. Il ne résulte dès lors pas de l’instruction que la SAS Corsica Ferries soit susceptible, à ce stade de la procédure, d’être lésée par le manquement invoqué. Le moyen est par suite inopérant ».
On ne peut pas dire que cette validation soit très fortement argumentée…
publié le 25 juillet 2022
Jurisprudence SMIRGEOMES : illustration d’une dérive
TA Strasbourg, ord. 22 juin 2022, Sté Autocars Mugler, n°00203654
On sait que l’arrêt Smirgeomes a eu pour but de mettre fin aux dérives du référé précontractuel qui aboutissait à faire annuler quasiment toutes les procédures au simple motif qu’une case sans intérêt n’était pas remplie dans l’avis d’appel public à la concurrence, ce qui doit évidemment être salué.
Mais force est de constater que cette jurisprudence, interprétée bien trop strictement par de trop nombreux TA aboutit désormais à l’excès inverse, à savoir un rejet des requêtes sans même examiner les moyens soulevés, au seul motif que le requérant ne serait pas susceptible d’être lésé par le ou les manquements qu’il soulève.
Illustration parfaite avec l’ordonnance rendue par le TA de Strasbourg à propos d’un marché de transports scolaires. Dans cette affaire, le candidat évincé soulevait 4 moyens sérieux, tenant à l’irrégularité du recours à la procédure concurrentielle avec négociations, à la dénaturation de son offre, à l’irrégularité du choix de certains critères et sous-critères ou encore à l’irrégularité de la méthode de notation des offres.
Or, ces moyens sont systématiquement rejetés par le juge sans même être jamais examinés, au seul motif à chaque fois, que « le vice, à le supposer établi, n’est pas susceptible d’avoir lésé le requérant en raison de l’écart global de points existant entre la société requérante et la société attributaire ». Cette formule figure expressément 4 fois dans l’ordonnance, pour rejeter les 4 moyens….
Autrement dit, le juge se fixe uniquement sur un écart de points pour rejeter la requête. A suivre un tel raisonnement, les acheteurs sont donc encouragés à maximiser les écarts de points entre le premier et le deuxième, pour être tranquilles en cas de contentieux…
Et, en réalité, un tel raisonnement est juridiquement erroné puisque si pris isolément, chaque moyen ne renverse pas nécessairement le classement final, de manière globale, ce classement peut parfaitement être remis en cause. Démonstration avec un petit exemple concret. Soit 2 candidats A et B et une procédure avec 3 critères notés respectivement sur 8, 6 et 6, soit une note totale de 20. Le candidat A, classé en première position obtient 6/8, 4/ et 4/6, soit une note totale de 14/20. Le candidat B obtient quant à lui 5/8, 4/6 et 3/6, soit une note totale de 12 points. L’écart final est de 2 points (14/20 contre 12/20). Si le candidat B perd 1 point par critère en raison de trois manquements soulevés (1 par critère), la comparaison avec l’écart total aboutit (selon le raisonnement erroné de beaucoup de TA) à ce que ce candidat ne soit effectivement pas lésé. Mais en définitive, si l’on raisonne globalement (en additionnant toutes les conséquences des manquements commis) le candidat B a bien perdu 3 points et devrait être logiquement classé en première position. Il est donc incontestablement lésé.
De même, le manquement relatif au recours irrégulier à la procédure négociée invalide, dès lors qu’il est fondé, le classement puisqu’un tout autre classement aurait pu exister en cas de procédure d’appel d’offres.
On le voit, on est arrivé au bout de cette jurisprudence et, puisque l’on observe désormais les dérives symétriquement inverses à celles constatées avant Smirgeomes, il serait temps de rééquilibrer le mouvement de balancier pour trouver une plus juste mesure.
publié le 29 juin 2022
Comparaison des prix en HT ou TTC : nouvelle illustration en présence d’un candidat étranger non soumis à la TVA
TA Châlons-en-Champagne, ord. 16 juin 2022, Sté RSO, n°2201179
Il y a quelques semaines je faisais état d’une ordonnance du TA de Rennes (commentée infra) sur la manière de comparer les offres lorsque certains candidats ne sont pas assujettis à la TVA.
Ce sujet a entrainé des réactions bien légitimes des acheteurs, c’est pourquoi je commente ici une nouvelle ordonnance portant sur ce sujet.
Dans cette affaire, le requérant était un candidat finlandais, non soumis à la TVA, qui avait déposé une offre de 239.985 euros HT. Son concurrent avait quant à lui déposé une offre de 236.793 € HT, soit 284.151,60 € TTC. Autrement dit, en comparant les offres en TTC, le candidat étranger était le moins disant, alors qu’en procédant à une comparaison HT, il était plus cher. La collectivité avait opté pour une comparaison HT et le candidat étranger s’est donc trouvé évincé, en raison d’un prix légèrement plus élevé. Il contestait la procédure en mettant en avant l’obligation de comparer les prix en TTC. Mais le tribunal va rejeter cette argumentation et valider la possibilité de comparer les prix en HT. Il affirme à cette occasion un considérant de principe très intéressant, selon lequel « la régularité d’une méthode de notation du prix des prestations s’apprécie sans considération de la situation particulière de chacune des entreprises candidates et ne saurait donc dépendre, notamment, de leur situation fiscale respective au regard de la taxe sur la valeur ajoutée ».
En l’espèce, le TA considère que « la communauté d’agglomération, s’agissant du fonctionnement de la patinoire, a opté, par une délibération du 14 décembre 2006, pour son assujettissement à la TVA. Elle dispose donc d’un statut fiscal lui permettant, s’agissant de cette patinoire, de déduire la taxe sur la valeur ajoutée grevant ses achats et notamment, les prestations objet du présent marché lorsqu’elles émanent d’un assujetti à la TVA. Par suite, et d’une part, comme il vient d’être dit au point 5, il n’est pas établi que la comparaison des offres devait se faire sur des prix exprimés toutes taxes comprises. D’autre part eu égard à son assujettissement à la TVA la collectivité a pu, sans méconnaitre le principe d’égalité entre les candidats à la commande publique, pour apprécier la valeur des offres, retenir leur montant hors taxe qui correspond à la somme qui restera à sa charge. La société requérante n’est, par suite, pas fondée à soutenir qu’en retenant le montant hors taxe de l’offre remise par la société S..., l’acheteur public aurait privé le critère du prix de sa portée et permis de retenir l’offre qui n’était pas la plus avantageuse économiquement ».
Nouvelle illustration concrète donc de ce que la comparaison des prix en HT est possible dans certains cas.
publié le 27 juillet 2022
Nouvelle application du Conseil d’Etat sur le dépôt tardif d’un pli. Spoil : c’est (encore) la faute du candidat
CE, 3 juin 2022, Sté SAUR, n°461899
Le Conseil d’Etat fait une nouvelle application de sa jurisprudence sur le dépôt tardif d’une pli, selon laquelle « s'il résulte des dispositions combinées des articles R.3123-14 et R.3123-21 du code de la commande publique que les candidatures présentées hors du délai fixé par l'autorité concédante ne peuvent participer à la suite de la procédure de passation du contrat de concession, cette autorité ne saurait toutefois rejeter une candidature remise par voie électronique comme tardive lorsque le candidat, qui n'a pu déposer celle-ci dans le délai sur le réseau informatique mentionné à l'article R.3122-15 du même code, établit, d'une part, qu'il a accompli en temps utile les diligences normales attendues d'un opérateur économique pour le téléchargement de sa candidature et, d'autre part, que le fonctionnement de son équipement informatique était normal ».
En l’espèce, le candidat évincé avait tenté é de déposer son pli le matin, pour une expiration à midi. Il mettait en avant deux circonstances, liés à un lien hypertexte défectueux dans le RC et le remplacement de sa salariée dédiée à cette tâche pour des raisons de santé.
Ces circonstances ne suffisent pas pour la Haute Assemblée qui rejette donc le pourvoi : « il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés du tribunal administratif de Nantes que la société Saur a tenté, en vain, de déposer sa candidature, par voie électronique, le 13 janvier 2022 dans la matinée, alors que par application de l'article 6.1 du règlement de la consultation, le délai pour remettre cette candidature expirait à midi ce même jour. Elle n'a finalement remis sa candidature au siège du syndicat mixte Atlantic'Eau qu'à 17h. La société Saur faisait valoir devant le juge des référés que cet échec était imputable, d'une part, au fait qu'un des deux liens hypertextes mentionnés à l'article 6 du règlement de la consultation, qui permettait accès direct au réseau informatique de l'autorité concédante, était défectueux et, d'autre part, à la circonstance qu'elle avait été contrainte de confier le téléchargement de sa candidature à une salariée peu expérimentée en raison de la dégradation soudaine de l'état de santé de la salariée qui devait initialement accomplir cette tâche. Il résulte toutefois des énonciations de l'ordonnance attaquée, non contestées sur ce point, que si un des deux liens hypertextes ne permettait pas le téléchargement d'une candidature, l'autre lien, également mentionné dans le règlement de la consultation, fonctionnait correctement et avait d'ailleurs permis la remise en temps utile de plusieurs candidatures ».
publié le 7 jun 2022
Communication du RAO devant le juge du référé précontractuel : la position intéressante (mais prudente) du TA de Rennes
TA Rennes, ord. 1er juin 2022, Sté ACRI IN, n°2202323
L’une des principales difficultés pour le candidat évincé qui saisit le juge des référés précontractuels est de ne pas disposer à ce stade, du RAO. Et, invariablement, le Conseil d’Etat rappelle qu’il n’appartient pas au juge d’enjoindre, dans ce cadre, à l’acheteur de communiquer ce rapport.
Pour autant, et depuis l’arrêt CIVIS de 2016, le candidat peut mettre en avant la dénaturation de son offre. Cette dénaturation ne relève pas de l’appréciation des mérites d’une offre par l’acheteur, hors de l’office du juge. Mais pour répondre au moyen tiré de la dénaturation d’une offre, l’acheteur semble devoir transmettre les extraits correspondants du RAO, pour démontrer justement que l’offre a été correctement prise en compte.
Au cas d’espèce, un candidat évincé soulevait ainsi le moyen de la dénaturation de son offre et l’acheteur n’avait, à aucun moment de la procédure judiciaire, transmis le RAO (respectant en cela la jurisprudence). Le juge va relever cette absence de communication et la sanctionner (mollement néanmoins Cf. infra).
En effet le juge considère qu’en ne transmettant pas le RAO, l’acheteur ne le met pas en mesure de contrôler si l’offre a été mal appréciée (ce qui ne relèverait pas de son office) ou bien effectivement dénaturée. Autrement dit, le juge considère que le moyen tiré de la dénaturation serait, en quelque sorte, automatiquement fondé dès lors que l’acheteur ne transmet pas le RAO : « Il ressort du mémoire technique que l’équipe affectée à la réalisation des prestations comportait deux personnes présentant des compétences, tant en sédimentologie qu’en hydro-sédimentologie marine. Si le pouvoir adjudicateur ne saurait être contraint de produire dans l’instance contentieuse les extraits pertinents du rapport d’analyse des offres, il n’en reste pas moins qu’en s’abstenant de les verser au débat, la communauté d’agglomération Lorient Agglomération ne permet pas de contrôler qu’en reprochant l’absence d’un expert, elle a considéré que les compétences des deux personnes concernées n’étaient pas suffisantes pour qu’ils puissent être qualifiés d’expert, la contestation de ce point relevant de l’appréciation des mérites de l’offre et restant donc inopérante, ou a au contraire considéré que l’équipe proposée par la société ACRI IN ne comportait pas de personnes présentant la moindre compétence dans l’une ou l’autre de ces spécialités, ce qui caractériserait une erreur de fait et une altération manifeste des termes de l’offre de cette société, sur ce point précis ».
La position du tribunal reste toutefois prudente, dans la mesure où il considère que même non dénaturée, l’offre du candidat évincé aurait obtenu une moins bonne note que le candidat arrivé en tête, de sorte que le manquement est considéré comme insusceptible d’avoir lésé le requérant.
Mais il n’empêche que cette « présomption de dénaturation » en l’absence de transmission du rapport d’analyse des offres est une piste très intéressante que pourrait parfaitement consacrer le Conseil d’Etat. En effet, si l’acheteur n’a rien à cacher, alors pourquoi refuser de communiquer les extraits du RAO ?
publié le 3 juin 2022
L’expérience de l’acheteur, un obstacle au recours à la procédure avec négociation
TA Bastia, ord. 20 mai 2022, Sté Oyonnair, n°2200574
Cette ordonnance illustre, une nouvelle fois, la difficulté réelle qu’on les acheteurs à recourir à la procédure avec négociation.
Malgré les belles paroles du pouvoir exécutif, qui, depuis plusieurs années, affirme qu’il a permis un recours accru à la négociation dans les marchés publics, le constat est sans appel.
Hors MAPA (pour lesquels le recours à la négociation est libre), il est, en pratique, extrêmement difficile de recourir à la procédure avec négociation (et anciennement la procédure concurrentielle avec négociation, ou PNC).
Systématiquement, la jurisprudence considère que les hypothèses, d’ailleurs limitatives (6 hypothèses seulement) ne sont pas remplies.
Nouvelle illustration pour le marché de transports aériens liés aux évacuations sanitaires des patients hospitalisés en Corse.
Alors que les centres hospitaliers d’Ajaccio et de Bastia avaient mis en œuvre une procédure avec négociation sur le fondement des dispositions des 4° et 5° de l’article R. 2124-3 du code de la commande publique (circonstances particulières liées à la nature du marché, à sa complexité ou au montage juridique et financier et impossibilité de définir les spécificités techniques avec une précision suffisante) et avaient justifier assez longuement la réalité de ces cas dérogatoires, le juge va sanctionner le recours à cette procédure en raison de l’expérience acquise depuis longtemps par l’acheteur dans ce domaine….
Le juge commence à rappeler que « Si la directive 2014/24/UE du 26 février 2014 relative à la passation des marchés publics a entendu introduire davantage de souplesse dans la possibilité, pour les pouvoirs adjudicateurs, de recourir à une procédure de passation de marché prévoyant des négociations et a, à cette fin, créé la procédure concurrentielle avec négociation, placée au même niveau que les procédures ouvertes et restreintes, et si, en conséquence, le code de la commande publique a fait de cette procédure l’une des procédures formalisées auxquelles peuvent avoir recours les acheteurs publics, les pouvoirs adjudicateurs ne peuvent néanmoins recourir à cette procédure que dans les cas limitativement énumérés à l’article R. 2124-3 du code de la commande publique ».
Et de considérer ensuite qu’« au regard de l’expérience que les centres hospitaliers d’Ajaccio et de Bastia ont acquis de longue date en la matière, l’évacuation sanitaire par la voie aéronautique des patients ne saurait être regardée comme une particularité du marché liée à sa nature ou à sa complexité justifiant le recours à la procédure négociée » ou encore « que les centres hospitaliers de Bastia et d’Ajaccio, eu égard à l’expérience qu’ils ont acquise en la matière, étaient parfaitement capables de définir avec une précision suffisante les spécifications techniques dont ils avaient besoin pour des évacuations sanitaires par avion à destination du continent ».
Sachez donc, chers acheteurs, que désormais l’expérience pourra jouer contre vous !
publié le 2 juin 2022
Ligne aérienne Tarbes/Lourdes – Paris : suite et fin ( ?)
TA Pau, ord. 30 mai 2022, Sté Chalair Aviation, n°2200941
Dans une précédente ordonnance du 21 mars 2022 (commentée infra), le juge des référés du tribunal administratif de Pau avait annulé, au stade de la candidature, la procédure de passation de la DSP pour l’exploitation de la ligne aérienne entre les aéroports de Tarbes-Lourdes et Paris-Orly en raison de son attribution à la société Voltea, récemment condamnée pour travail dissimulé, en violation de l’article L.3123-4 du code de la commande publique (partie concessions).
À la suite de cette annulation, le Syndicat Mixte a repris la procédure au stade de la candidature, a demandé à Voltea d’apporter les preuves de la régularisation et a déclaré l’offre de la société Chalair irrégulière.
Le juge confirme, dans cette nouvelle ordonnance, le caractère régulier de la candidature de l’attributaire (ce dernier ayant finalement régler les condamnations en cause) et le caractère irrégulier de l’offre du candidat évincé, essentiellement pour n’avoir pas pu démontrer disposer des créneaux de vol suffisants.
L’attributaire initial se voit donc finalement confirmé et les deux contentieux de Chalair n’auront finalement eu pour effet que de retarder l’entrée en vigueur de cette nouvelle DSP (avec mise en place d’une convention provisoire pour 3 mois).
Cette affaire démontre l’intérêt qu’il y aurait à faire traiter l’ensemble des moyens dans une même procédure, puisque la question de la conformité de l’offre Chalair aurait pu utilement être discutée dans le cadre du premier premier référé, pour éviter cette perte de temps.
publié le 1er juin 2022
Non allotissement d’un marché : des justifications insuffisantes entrainent l’annulation de la procédure
TA Nîmes, ord. 23 mai 2022, Sté Nicollin Holding Environnement, n°2201257
On a coutume de dire que si l’allotissement des marchés est le principe, il reste bien théorique tant les exceptions sont importantes et le contrôle du juge limité (notamment en référé précontractuel).
C’est vraisemblablement ce que c’est dit Nîmes Métropole en lançant son marché de collecte des déchets ménagers et assimilés sur le territoire de la ville, marché précédemment alloti en trois lots, mais relancé sous la forme d’un marché global.
Les justifications fournies au DCE étaient, il faut dire, assez peu opérationnelles, puisque l’article 1.3.1 du RC justifiait le recours à cet accord-cadre non alloti par le fait que « le territoire de la ville de Nîmes constitue à lui seul un lot géographique à l'échelle de l'agglomération » et par la circonstance que « les prescriptions techniques homogènes et cohérentes à l'échelle de la ville, la mutualisation et la complémentarité des moyens humains et matériels ainsi que des outils à déployer permettent d'assurer la cohérence opérationnelle nécessaire à l'organisation des prestations, à l’atteinte des objectifs fixés et à garantir la continuité du service public, tout en assurant la mise en concurrence et le respect des règles fixées par le code de la commande publique ».
Selon le juge, ces justifications ne sont pas suffisantes, et ce dernier sanctionne donc l’absence d’allotissement par un considérant tout aussi peu opérationnel : « eu égard à la nature des prestations objet du contrat pluriannuel en litige, à savoir la collecte des ordures ménagères résiduelles et la collecte sélective, ainsi que la collecte., l'orientation vers le réemploi, le tri et le transport des encombrants et des prestations associées ou complémentaires, qui correspondent, pour l'essentiel, à des prestations matériellement distinctes, l'absence d'allotissement technique de l'accord-cadre n’est justifié par Nîmes métropole par aucune circonstance objectivement établie portant sur les effets de la définition de lots séparés sur la concurrence dans le secteur concerné ou sur les conditions d'exécution des prestations en cause, s’agissant notamment de la mise en œuvre d'un objectif transversal de prévention ».
Peut-être que le juge a voulu faire écho aux propos alambiqués du DCE, mais pas sûr ce faisant que cette ordonnance résiste à un pourvoi en cassation.
Toujours est-il qu’il convient toujours d’avoir à l’esprit, côté acheteur, que le recours au marché global reste une exception et qu’il faut nécessairement le justifier de manière opérationnelle, et non pas le biais d’un charabia pompeux….
publié le 24 mai 2022
Application de la méthode de notation du critère « prix » : comment faire en cas de TVA différentes entre les offres ?
TA Rennes, ord. 13 mai 2022, Association Sevel services, n°2202133
Compte tenu des différents taux de TVA qui existent en France, il peut arriver que les candidats à un même marché ne se voient pas appliquer le même taux de TVA, ce qui peut avoir des incidences lors de la mise en œuvre de la méthode de notation retenue.
A l’occasion de ce litige, le tribunal administratif indique donc que « la régularité d’une méthode de notation de prix de prestations s’apprécie sans considération de la situation particulière de chacune des entreprises candidates et ne saurait donc dépendre, notamment, de leur situation fiscale respective au regard de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA). Eu égard à ce principe, une collectivité ne saurait comparer les prix proposés par chacune des entreprises en ajoutant aux prix proposés hors taxe, conformément aux règles définies par elle, par les candidats non exonérés de taxe à la date de la comparaison, la TVA qui sera éventuellement due par la collectivité sur les prestations ». Autrement dit, dès lors qu’un ou plusieurs candidats ne sont pas assujettis à la TVA, il convient de comparer l’ensemble des prix HT, et non d’ajouter « fictivement » de la TVA à ces offres de prix.
Néanmoins, procéder à cet ajout fictif de TVA n’est pas nécessairement sanctionné, dès lors qu’il est réalisé de manière uniforme à l’ensemble des candidats. Au cas présent, l’acheteur avait en effet ajouté le même taux de 20 % à toutes les offres de sorte que la comparaison HT ou TTC des prix aboutissait aux mêmes écarts entre les candidats. Ce manquement est alors sans incidence pour le juge : « en l’espèce, il résulte de l’instruction que si l’avis d’attribution avait initialement indiqué que le marché avait été attribué à la société Corser pour un montant hors taxes de 49 998,46 euros, cet avis a fait l’objet d’un modificatif le 9 mai 2022, l’offre de la société Corser s’élevant en réalité à 43 500 euros hors taxes. S’il résulte du tableau d’analyse des offres que le pouvoir adjudicateur a comparé les prix toutes taxes comprises proposés par les soumissionnaires, il est toutefois constant qu’il a pris en compte une taxe sur la valeur ajoutée uniforme de 20 % pour chacun d’entre eux de telle sorte que cette erreur, du fait de l’application d’une règle de trois, a été sans conséquence sur la notation du critère du prix et n’a donc pas entaché la procédure de passation du marché en litige d’irrégularité ».
publié le 23 mai 2022
Emoji triste sur le Conseil d’Etat qui valide une méthode d’évaluation des offres « pouce levé / pouce baissé »
CE, Commune de Saint-Cyr-sur-Mer, 3 mai 2022, n°460090
Dans une ordonnance commentée sur ce site, le TA de Toulon avait sanctionné une méthode d’évaluation des offres d’une concession au motif qu’elle était constituée par de simples flèches de couleur pointant vers le haut ou vers le bas. Cette méthode laissait, pour le juge, une trop grande part d’arbitraire à l’autorité concédante, ce qui paraissait assez imparable.
Que nenni vient dire le Conseil d’Etat, qui valide sans sourciller une telle méthode de notation.
Après avoir adapté son considérant de principe sur les méthodes de notation pour les marchés publics aux concessions, pour lesquelles il parle de méthode d’évaluation, il considère que cette méthode est régulière : « l'autorité concédante définit librement la méthode d'évaluation des offres au regard de chacun des critères d'attribution qu'elle a définis et rendus publics. Elle peut ainsi déterminer tant les éléments d'appréciation pris en compte pour son évaluation des offres que les modalités de leur combinaison. Une méthode d'évaluation est toutefois entachée d'irrégularité si, en méconnaissance des principes fondamentaux d'égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures, les éléments d'appréciation pris en compte pour évaluer les offres au titre de chaque critère de sélection sont dépourvus de tout lien avec les critères dont ils permettent l'évaluation ou si les modalités d'évaluation des critères de sélection par combinaison de ces éléments sont, par elles-mêmes, de nature à priver de leur portée ces critères ou à neutraliser leur hiérarchisation ou, le cas échéant, leur pondération et sont, de ce fait, susceptibles de conduire, pour la mise en œuvre de chaque critère, à ce que la meilleure offre ne soit pas la mieux classée, ou, au regard de l'ensemble des critères, à ce que l'offre présentant le meilleur avantage économique global ne soit pas choisie. Il en va ainsi alors même que l'autorité concédante, qui n'y est pas tenue, aurait rendu publique, dans l'avis d'appel à concurrence ou les documents de la consultation, une telle méthode d'évaluation. Le juge des référés du tribunal administratif a considéré que la méthode d'évaluation de l'offre litigieuse, dans le cadre de laquelle l'appréciation de l'autorité concédante sur les différents critères d'attribution était matérialisée par des flèches de couleur, était irrégulière faute pour ces signes d'être convertis en note chiffrée, ce qui laissait " une trop grande part à l'arbitraire ". En jugeant ainsi, alors qu'il résulte des principes énoncés au point précédent qu'il lui incombait seulement de rechercher si la méthode d'évaluation retenue n'était pas, par elle-même, de nature à priver de leur portée les critères ou à neutraliser la hiérarchisation qu'avait retenue l'autorité concédante, le juge des référés du tribunal administratif a commis une erreur de droit. l'autorité concédante a, pour évaluer les offres qui lui étaient soumises, associé à chacun des critères hiérarchisés qu'elle avait fixés et rendus publics une appréciation qualitative des offres. Cette appréciation était composée d'une évaluation littérale décrivant les qualités des offres pour chaque critère, suivie d'une flèche qui la résumait. Dans le cadre de cette méthode, une flèche verte orientée vers le haut représentait la meilleure appréciation, une flèche rouge vers le bas la moins bonne, tandis que des flèches orange orientées en haut à droite ou en bas à droite constituaient deux évaluations intermédiaires. Il résulte des principes énoncés au point 4 que cette méthode d'évaluation des offres, qui permet de comparer et de classer tant les évaluations portées sur une même offre au titre de chaque critère que les différentes offres entre elles, n'est pas de nature à priver de leur portée ces critères ou à neutraliser leur hiérarchisation et n'est, par suite, pas entachée d'irrégularité ».
Cette position est franchement contestable puisqu’elle laisse indéniablement une très grande part d’arbitraire à l’acheteur. Peut-être qu’elle s’explique parce qu’il s’agit d’une concession, procédure plus souple.
A défaut, il s’agira d’un nouveau coup dur pour la procédure de référé, qui tend de plus en plus à perdre de son efficacité au regard des jurisprudences ouvertement favorables rendues en faveur des acheteurs (position sur l’offre anormalement basse, sur l’interprétation trop stricte de la lésion, sur l’impossibilité de faire un pourvoi en cas de rejet, sur le principe d’impartialité etc).
14 ans après Smirgeomes, il serait temps que la balance se rééquilibre….
publié le 8 mai 2022
Pourvoi en cassation en cas de rejet d’un référé : nouvelle illustration de ce qu’un recours efficace est possible
CE, Association SPA Marseille Provence, 7 avril 2022, n° 461710
Je milite depuis longtemps pour qu’un recours effectif en matière de référé précontractuel soit instauré en droit français.
En effet, en l’état actuel de la jurisprudence (qui date de 1995, peut-être serait-il temps de la revoir ?), quand un requérant voit sa requête rejetée, un pourvoi en cassation est théoriquement possible mais voué à l’échec. En effet, l’acheteur signe généralement le marché quelques jours après le rejet de la requête et le Conseil d’Etat déclare, dans une telle hypothèse, un non-lieu à statuer.
Nouvelle illustration avec l’affaire « SPA Marseille » qui a donné lieu à de nombreuses décisions (Cf. infra commentaires sur ce site).
Par une ordonnance du 18 février 2222, le TA de Marseille a rejeté la requête en référé de la SPA, qui s’est pourvue en cassation. Le Conseil constatant que le marché est signé, déclare le pourvoi san objet : « il ressort des pièces du dossier que le contrat portant sur le lot n° 1 du marché de services de « capture, le transport des animaux errants et/ou dangereux et/ou blessés et/ou morts sur le territoire de la ville de Marseille, mise en fourrière et gestion du suivi des animaux » a été signé le 21 février 2022 de telle sorte que les conclusions de l’association SPA Marseille Provence tendant à l’annulation de l’ordonnance du 18 février 2022 du juge des référés du tribunal administratif de Marseille sont devenues sans objet ».
On remarque que le Conseil d’Etat a statué extrêmement vite (en 49 jours seulement) et que de ce fait, on pourrait parfaitement envisager un système de suspension de signature le temps que le Conseil d’Etat se prononce (comme en première instance), avec par exemple obligation d’introduire le pourvoi dans les 5 jours de rendu de l’ordonnance (afin de ne pas bloquer les signatures en cas d’absence de recours).
Toujours est-il qu’en l’état, lorsque l’acheteur voit sa procédure annulée, il a accès au Conseil d’Etat (qui infirme souvent les ordonnances de première instance preuve que le juge des référés n’est pas infaillible) mais pas le candidat évincé qui voit sa requête rejetée. Cette situation n’est pas normale, surtout quand on connait les enjeux économiques qui peuvent reposer sur les contrats d la commande publique.
publié le 22 avril 2022
DSP de restauration scolaire, définition des besoins et loi du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage
TA Rennes, ord. 19 avril 2022, Sté BRS, n°2201527
Dans le cadre de la passation de sa DSP de restauration scolaire et de livraison des repas à domicile, la ville de Brest avait prévu de mettre en œuvre, en cours d’exécution du contrat, l’article 77 de la loi du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage sur l’obligation d’utiliser à compter du 1er janvier 2023 des contenants réemployables (« à compter du 1er janvier 2023, les établissements de restauration sont tenus de servir les repas et boissons consommés dans l'enceinte de l'établissement dans des gobelets, y compris leurs moyens de fermeture et couvercles, des assiettes et des récipients réemployables ainsi qu'avec des couverts réemployables »). La ville n’avait cependant pas prévu la date de mise en œuvre de cette obligation, et un concurrent évincé mettait, de ce fait, en avant une absence de définition des besoins. Le juge rejette cependant ce moyen au motif que « le contrat, en son article 33.3 « Conditionnement des repas », prévoyait au titre des « dispositions spécifiques aux bénéficiaires du portage à domicile », conformément aux dispositions de l’article 77 de la loi du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et l’économie circulaire, au démarrage du contrat, la livraison en barquettes jetables individuelles, puis, en cours d’exécution du contrat, sous réserve du respect d’un préavis de trois mois entre l’information au délégataire et la modification effective des prestations, la possibilité pour le délégant d’exiger le passage à un conditionnement réemployable, moyennant éventuellement la délégation de la collecte des contenants, constituant alors une plus-value. Il était demandé expressément aux candidats de chiffrer spécifiquement leurs propositions sur ces deux points. Le besoin - au demeurant susceptible de varier en fonction des politiques nationale et locale de lutte pour la préservation de l’environnement et de l’évolution des normes en la matière - était ainsi suffisamment défini, nonobstant l’absence de précision de la date, au sein de la concession de 7 années, à partir de laquelle serait susceptible d’intervenir le basculement d’un conditionnement jetable à un conditionnement réemployable. Le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l’article L. 3111-1 du code de la commande publique exigeant que l’autorité concédante détermine la nature et l’étendue des besoins à satisfaire avant le lancement de la consultation ne peut donc être accueilli ».
publié le 21 avril 2022
Le juge du référé précontractuel ne peut pas recomposer le barème de notation établi par l’acheteur
CE, 1er avril 2022, Sté Bourdarios, n° 458793
Comme pressenti (et sans grande surprise) l’ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Toulouse du 10 novembre 2021, Sté ECMP, n°2106173 commentée sur ce site, a été annulée par le Conseil d’Etat.
Dans cette affaire, l’Etat avait mis en œuvre une procédure de passation d’un marché public global de performance de reconstruction, réhabilitation, exploitation et maintenance du site Lemaresquier aux fins d’y implanter la nouvelle cité administrative de Toulouse.
Dans son ordonnance le juge avait « fusionné » deux des trois éléments d’appréciation utilisés pour l’un des critères de la valeur technique pour considérer être en présence de sous-critères pondérés non annoncés.
Le Conseil d’Etat infirme ce raisonnement et confirme qu’il n’appartient pas au juge du référé précontractuel de recomposer le barème de notation établi par l’acheteur : « Pour juger que le pouvoir adjudicateur avait manqué à ses obligations de mise en concurrence en ne portant pas ces informations à la connaissance des candidats, l'auteur de l'ordonnance attaquée a considéré que le pouvoir adjudicateur avait entendu noter sur 2,5 points la qualité architecturale et sur 5 points la qualité fonctionnelle et que " ces éléments d'appréciation, distincts par leur nature et leur pondération respective, ne constituaient donc pas une simple méthode d'évaluation mettant en œuvre le sous-critère de sélection 3-1 ". En statuant ainsi, alors que le barème de notation, qu'il n'appartenait pas au juge du référé précontractuel de recomposer, distinguait trois éléments d'appréciation pondérés à la même hauteur, l'auteur de l'ordonnance attaquée a dénaturé les pièces du dossier. Par suite et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, le ministre de l'économie, des finances et de la relance et la société Bourdarios sont fondés à demander l'annulation de l'ordonnance attaquée ». Saisi au fond, le juge rejette la demande d’annulation de la procédure, en rappelant notamment que l’acheteur peut choisir une méthode de notation qui, s'agissant de l'évaluation du critère technique, permet une différenciation des notes attribuées aux candidats, notamment par l'attribution automatique de la note maximale au candidat ayant présenté la meilleure offre.
publié le 4 avril 2022
Illustration de « l’occasion particulièrement avantageuse » qui permet à une entité adjudicatrice de conclure un marché sans publicité ni mise en concurrence
TA Martinique, ord. 25 mars 2022, Préfecture de Martinique, n°2200147
L’article R.2122-11 du code de la commande permet aux seules entités adjudicatrices de passer un marché sans publicité ni mise en concurrence préalables « ayant pour objet l'achat de fournitures qu'il est possible d'acquérir en profitant d'une occasion particulièrement avantageuse qui se présente dans une période de temps très courte et pour lesquelles le prix à payer est considérablement plus bas que les prix normalement pratiqués sur le marché ».
Cette possibilité d’achat d’opportunité n’avait a priori jamais fait l’objet d’un contentieux. C’est chose faite avec ce déféré préfectoral concernant un marché d’achat de bouteilles d’eau potable. Une régie communautaire de l'eau et de l'assainissement avait conclu un marché public sans publicité ni mise en concurrence pour la fourniture et la livraison de bouteilles d’eau de source afin de parer aux coupures d’eau sur le réseau de distribution d’eau sur le fondement de l’article R.2122-11. Le préfet avait déféré ce contrat au motif que, selon lui, la Régie ne démontrait pas avoir bénéficié d’une occasion particulièrement avantageuse. Le juge va pourtant valider la position de l’acheteur, au motif que le prix unitaire d’achat des bouteilles d’eau était 14 % moins cher que le prix d’achat en grande surface : « il ressort des pièces du dossier versées par la régie et non contestées en défense que le prix unitaire proposé par la société attributaire pendant cette période est de 3,583 euros HT, alors que le prix moyen de vente aux magasins de la grande distribution s’élevait à 4,162 euros HT. Ainsi, le prix proposé, au moment de la passation du marché, était 14 % moins cher que ces tarifs réservés au secteur de la grande distribution et par conséquent nettement inférieur aux prix pratiqués sur le marché grand public. Dans ces conditions, l’entité adjudicatrice doit être regardée comme ayant profité d’une occasion particulièrement avantageuse. Dès lors, le moyen tiré de la méconnaissance de l’article R.2122-11 du code de la commande publique n’est pas de nature, en l’état de l’instruction, à créer un doute sérieux sur la légalité du marché public. Par suite, le préfet n’est pas fondé à demander la suspension du marché ».
On peut néanmoins s’étonner de cette position dès lors que l’article évoque un prix « considérablement » plus bas que les prix du marché et qu’un rabais de 14 % ne paraît pas si considérable que ça.
publié le 30 mars 2022
Dépôt tardif d’une offre électronique : précisions sur la notion « d’accomplissement en temps utile des diligences normales attendues d'un candidat »
TA Clermont-Ferrand, ord. 24 mars 2022, Sté IVECO France, n°2200606
Dans sa décision RATP du 23 septembre 2021 (commentée sur ce site), le Conseil d’Etat avait offert un peu de souplesse aux candidats rencontrant des problèmes de dépôt avec les plateformes électroniques.
Il avait en effet jugé que « si l'article R.2151-5 du code de la commande publique prévoit que les offres reçues hors délai sont éliminées, l'acheteur public ne saurait toutefois rejeter une offre remise par voie électronique comme tardive lorsque le soumissionnaire, qui n'a pu déposer celle-ci dans le délai sur le réseau informatique mentionné à l'article R.2132-9 du même code, établit, d'une part, qu'il a accompli en temps utile les diligences normales attendues d'un candidat pour le téléchargement de son offre et, d'autre part, que le fonctionnement de son équipement informatique était normal ». Reste à préciser cette notion « d’accomplissement en temps utile des diligences normales attendues d'un candidat ».
Au cas présent, une société avait déposé son offre à 13h06 pour une date limite à midi et se prévalait de difficultés extérieures pour son dépôt et en faisant valoir qu’elle avait démarré son dépôt à 9h36.
Malheureusement pour elle, le juge va valider le rejet de l’acheteur et lui dénier la qualité de candidat diligent : « la date et l’heure limites de remise des offres par voie électronique étaient fixées au 18 février 2022 à 12 heures et que l’offre de la société IVECO France reçue à 13h06 a été rejetée comme étant hors délai, sur le fondement des dispositions de l’article R. 2151-5 du code de la commande publique. La société requérante soutient que la phase de décryptage de ses fichiers s’est achevée à 9h38 mais qu’elle a rencontré des problèmes informatiques lors de la phase de téléchargement de son offre et a contacté les services techniques le 18 février 2022 à 11h32 et 11h33. Toutefois, le syndicat mixte des transports en commun de l’agglomération clermontoise se prévaut de la circonstance que la date limite de remise des offres avait été initialement fixée au 10 février 2022, repoussée de huit jours, et du point 2 des conditions générales d’utilisation annexées au règlement de la consultation informant les candidats de la nécessité d’effectuer le dépôt effectif de leur offre au minimum 24 heures avant l’expiration de la date limite et conseillant d’effectuer par précaution ce dépôt 48 heures avant l’échéance. En débutant le téléchargement de son offre seulement 2h30 avant l’expiration de l’heure limite fixée par le syndicat mixte, la société IVECO France ne peut être regardée comme ayant accompli en temps utile les diligences normales attendues d’un candidat pour le téléchargement de son offre, ayant été dûment informée de la nécessité technique de transmettre le dossier la veille ».
Malgré la souplesse offre récemment par le Conseil d’Etat, il est donc toujours préférable de ne pas s’y prendre au dernier moment pour déposer son offre.
publié le 28 mars 2022
La confusion de noms entre deux candidats ne justifie pas une exclusion de la procédure
CE, 24 mars 2022, commune de Ramatuelle, n°457733
La société « EPI plage de Pampelonne » avait demandé et obtenu du juge des référés du tribunal administratif de Toulon l’annulation de la procédure de passation du lot n°23 de la sous-concession de la plage de Pampelonne, au motif que ce contrat avait été attribué à la société « EPI ».
Le juge des référés avait en effet estimé que la dénomination sociale de l’attributaire créait un « grave risque de confusion » avec la société détenant l'hôtel du même nom, actionnaire unique de la société « EPI plage de Pampelonne », également candidate, eu égard à la forte notoriété de cet établissement, d'ailleurs titulaire de la marque « EPI Plage ». Selon le juge de première instance, la ville aurait donc dû solliciter, sur le fondement de l’article L.3123-11 du code de la commande publique, les observations de l’attributaire pressenti sur ce point et en fonction de la réponse, envisager de l’exclure de la procédure de passation.
Ce raisonnement est infirmé par le Conseil d’Etat. Ce dernier commence par rappeler que les dispositions de l’article L.3123-11 du code de la commande publique « permettent à l'autorité concédante d'exclure de la procédure de passation d'un contrat de concession une personne qui peut être regardée, au vu d'éléments précis et circonstanciés, comme ayant, dans le cadre de la procédure de passation en cause ou dans le cadre d'autres procédures récentes de commande publique, entrepris d'influencer la prise de décision de l'acheteur et qui n'a pas établi, en réponse à la demande que l'acheteur lui a adressée à cette fin, que son professionnalisme et sa fiabilité ne peuvent plus être mis en cause et que sa participation à la procédure n'est pas de nature à porter atteinte à l'égalité de traitement entre les candidats ». Il considère ensuite que « le choix par un opérateur économique d'une dénomination sociale ne saurait, au seul motif que celle-ci est susceptible d'induire un risque de confusion avec une autre société également candidate à l'attribution de la sous-concession en litige, justifier son exclusion sur le fondement des dispositions de l'article L.3123-8 du code de la commande publique ». Autrement dit, l’éventuelle confusion de dénomination entre deux candidats n’entre pas dans le champ d’application de cet article, qui n’a donc pas pour objet de régler une telle difficulté.
Le candidat malheureux aura donc plus de chances de succès via une action en parasitisme devant le juge judiciaire, même si en définitive il obtient quand même gain de cause devant le Conseil d’Etat, car l’offre de l’attributaire était irrégulière et n’aurait pas du être examinée. La procédure étant annulée au stade de l’examen des offres (avec exclusion du candidat classé en première position) le requérant, classé deuxième, a de grandes chances de se voir finalement attribuer le contrat.
publié le 25 mars 2022
Condamnation pour travail dissimulé et exclusion automatique de la candidature
TA Pau, ord. 21 mars 2022, Sté Chalair Aviation, n°2200424
Dans son ordonnance du 21 mars 2022, le juge des référés du tribunal administratif de Pau vient d’annuler partiellement la procédure de passation de la convention de délégation de service public pour l’exploitation de la ligne aérienne entre les aéroports de Tarbes-Lourdes et Paris-Orly. Le Syndicat Mixte avait en effet attribué cette DSP à une société récemment condamnée pour travail dissimulé, en violation de l’article L.3123-4 du code de la commande publique (partie concessions).
Le magistrat apporte d’intéressantes précisions sur ce mécanisme et sa mise en œuvre pratique : « il résulte de l’article 5 du RC que le dossier de candidature doit notamment comporter « une attestation sur l’honneur, datée et signée, que le soumissionnaire ne fait l’objet d’aucune des exclusions de la participation à la présente procédure prévue aux articles L.3123-1 à L.3123-5 du code de la commande publique ». En application de ces dispositions, la candidature de la société Volotea est donc soumise aux dispositions précitées de l’article L.3123-4 du code de la commande publique. Il résulte de l’instruction que, par jugement du 13 septembre 2021, le tribunal correctionnel de Bordeaux a condamné la société Volotea à une peine d’amende de 200 000 € pour méconnaissance de ses obligations prévues par les articles L.8221-3 et L.8221-5 du code du travail du fait de travail dissimulé […]. Si la société a interjeté appel de ce jugement le 17 septembre 2021, il résulte des dispositions précitées de l’article 38 de la directive 2014/23/UE et de l’article L.3123-4 du code de la commande publique qu’un jugement sanctionnant la méconnaissance des obligations rappelées précédemment implique l’exclusion de la personne condamnée de la procédure de passation des contrats de concession pour une durée de trois ans à compter de la date de ce jugement, et que seule la durée de cette exclusion, lorsqu’une peine relative à cet objet a été prononcée pour une durée différente de celle de trois ans, doit être fixée par une décision de justice définitive. Dans ces conditions, outre le fait que le jugement du 13 septembre 2021 ne prévoit pas que la société Volotea est exclue de la procédure de passation des contrats de concession, cette dernière n’est pas fondée à soutenir que l’appel qu’elle a formé contre cette décision de justice a pour conséquence de suspendre les effets qui s’y attachent. Il résulte enfin de l’instruction que la société […] reconnaît qu’elle n’a [pas] réglé l’amende à laquelle elle a été condamnée. D’autre part, ce jugement n’a assorti la condamnation de la société Volotea à une peine d’amende que d’un sursis portant sur la moitié de cette peine. Cette société ne remplit donc pas l’ensemble des conditions prévues par les dispositions précitées de l’article L.3123-4 du code de la commande publique lui permettant de ne pas être exclue de la procédure de passation des contrats de concession. Dans ces conditions, la candidature présentée par la société Volotea doit être regardée comme ayant été retenue en méconnaissance des dispositions du règlement de consultation. Dès lors, en examinant l’offre de cette société, l’autorité concédante a manqué à ses obligations de mise en concurrence ».
publié le 22 mars 2022
Erreur manifeste dans la qualification d’une offre anormalement basse : l’annulation est obligatoirement partielle
CE, 2 mars 2022, Pôle Emploi, n°4580019
Le Conseil d’Etat vient de préciser les conséquences d’une annulation de procédure de passation par le juge des référés lorsque l’acheteur a commis une erreur manifeste dans la qualification d’une offre comme offre anormalement basse.
Dans une telle hypothèse en effet, le juge est obligatoirement tenu de n’annuler la procédure qu’au stade de l’analyse des offres, sous peine de commettre une erreur de droit : « il résulte des énonciations de l'ordonnance attaquée, non contestées sur ce point par le requérant, que le juge des référés a estimé que les prix proposés par la société Formateurs de Bourbon n'étaient pas manifestement sous-évalués et de nature à compromettre l'exécution des marchés et qu'en conséquence Pôle Emploi avait commis une erreur manifeste d'appréciation en décidant d'écarter les offres présentées par cette société au motif de leur caractère anormalement bas et qu'il avait ainsi méconnu le principe d'égalité entre les candidats. Compte tenu du manquement ainsi relevé, qui se rapportait à la seule phase de sélection des offres par l'acheteur public, il appartenait au juge des référés de n'annuler la procédure qu'à compter de l'examen de ces offres. Par suite, le juge des référés a commis une erreur de droit en annulant l'ensemble de cette procédure et en enjoignant à Pôle Emploi, s'il entendait la poursuivre, de la reprendre dans son intégralité. Pôle Emploi est en conséquence fondé à demander l'annulation de l'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de La Réunion en tant qu'elle a annulé la procédure à un stade antérieur à la phase de sélection des offres. Eu égard au stade auquel est prononcée l'annulation de l'ordonnance du juge des référés, il appartiendra à Pôle Emploi, s'il entend conclure le marché en cause, de reprendre la procédure au stade de la sélection des offres ».
publié le 3 mars 2022
Quand les modalités de dépôt trop tatillonnes se retournent contre l’acheteur
TA Versailles, ord. 31 janvier 2022, Sté A2. DIS, n°2200116
On sait qu’en principe, le RC est obligatoire dans toutes ses mentions et que le non-respect du formalisme imposé par ce document entraine le rejet de l’offre pour irrégularité…sauf quand les modalités de dépôt sont inutilement exigeantes, comme vient de le rappeler le TA de Versailles : « le règlement de la consultation d’un marché est obligatoire dans toutes ses mentions. L’administration ne peut en conséquence attribuer le marché à un candidat qui ne respecterait pas une des prescriptions imposées par le règlement, sauf si cette exigence se révèle manifestement dépourvue de toute utilité pour l’examen des candidatures ou des offres ».
En l’espèce, le RC imposait aux candidats de déposer leurs offres sous la forme de 4 dossiers de fichiers (1 par thème), au format PDF comprenant une seule pièce par PDF, respectant un nommage précis et obligatoirement compressés au format zip. Une société ayant déposé toutes ses pièces dans un fichier unique avait vu son offre écartée et contestait ce rejet.
Dans son ordonnance, le juge lui donne raison en constatant que « les offres de la société n’ont pas été présentées selon la composition en 4 dossiers, la requérante s’étant bornée à transmettre les fichiers composant son offre dans un dossier unique. Toutefois, il résulte également de l’instruction que la société A2.DIS a fourni la totalité des informations et documents exigés par le règlement de la consultation et dûment respecté les exigences de format informatique « PDF », de document unique par fichier et d’intitulés des fichiers transmis. Par ailleurs, à l’occasion de l’attribution de précédents lots à la société requérante, les offres de cette dernière, présentées selon les mêmes modalités dans le cadre d’un RC prévoyant les mêmes exigences de présentation, n’ont pas été déclarées irrégulières. En outre, il ressort de l’accusé de réception du dépôt de l’offre de l’entreprise Lucien, attributaire, émis par la plate-forme « Dematis », qu’une partie au moins des pièces contenues dans cette offre ne figure pas dans un dossier compressé au format « .zip ». Au surplus, et même si aucune disposition législative ou règlementaire ni aucun principe ne lui en faisait l’obligation, le lycée pouvait demander à la société A2.DIS de régulariser la présentation formelle de son offre afin de la mettre en conformité avec les exigences du RC. Enfin, si le défendeur fait valoir les délais contraints dans lesquels les lots en cause devaient être attribués, il résulte de ce qui a été dit au point 1 que le pouvoir adjudicateur disposait d’un délai conséquent de deux mois et demi entre la date limite de dépôt des offres et celle de la prise d’effet des lots attribués. Eu égard à l’ensemble des circonstances précédemment exposées, l’exigence du RC tenant à la présentation des offres en 4 dossiers compressés au format zip apparaît manifestement dépourvue d’utilité à l’examen des offres. Par conséquent, en rejetant l’offre de la société comme irrégulière au motif qu’elle ne respectait pas cette exigence, le lycée a manqué à ses obligations de publicité et de mise en concurrence ».
publié le 11 février 2022
Peut-on voir sa candidature rejetée pour être « trop compétent » ?
TA Nancy, ord. 31 janvier 2022, Sté Espace Architecture, n°2200076
Dans le cadre d’une procédure restreinte, seules les meilleures candidatures sont admises à déposer une offre. L’acheteur doit donc, dans cette hypothèse, mettre en œuvre des critères de sélection des candidatures fondés sur les capacités techniques, financières et professionnelles des candidats. Mais peut-on, dans ce cadre, voir sa candidature moins bien notée, et donc écartée comme ne faisant pas partie des meilleures candidatures, parce que son dossier fait apparaître une trop forte compétence ? C’est la question à laquelle le juge des référés précontractuels du tribunal administratif de Nancy vient de répondre et, sans grande surprise, sa réponse est négative : « il résulte de l’instruction que la candidature du groupement dont la société Espace architecture est mandataire a été jugée comme étant très faiblement en adéquation avec le projet au motif, d’une part, que les effectifs de trois des sociétés membres du groupement, affectés à l’opération seraient trop élevés par rapport à l’envergure du projet, ce qui pourrait avoir une incidence sur le montant de la rémunération et conduirait à un dépassement probable des crédits affectés aux honoraires de maîtrise d’œuvre et, d’autre part que l’un des membres du groupement dispose d’une compétence non demandée pour l’exécution du marché. Une telle appréciation, alors que l’incidence financière des effectifs de l’équipe affectée au projet ne peut être évaluée au stade de la présentation des candidatures, et alors qu’il n’est pas contesté que le groupement d’entreprises dont la société requérante est mandataire dispose des capacités et des compétences requises pour l’exécution du contrat, est entachée d’une erreur manifeste ».
Pour avoir donc mal évalué la candidature de ce groupement, l’acheteur devra donc procéder à un nouvel examen des candidatures.
publié le 07 février 2022
Accords-cadres sans maximum : le Conseil d’Etat confirme !
CE, 28 janvier 2022, Communauté de Communes Convergence Garonne, n°456418
Ne pas indiquer le montant maximum dans un accord-cadre est un bien manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence, qui est susceptible de léser le candidat et d’entrainer l’annulation de la procédure de passation.
Le Conseil d’Etat vient en effet de confirmer l’ordonnance du TA de Bordeaux du 23 août dernier (commentée sur ce site), en jugeant qu’il ressort de l’arrêt Simonsen de la CJUE, qui n’a pas prévu d’effet différé, que « pour tout appel à concurrence relatif à un marché destiné à être passé sous la forme d'un accord-cadre qui, eu égard à son montant, entre dans le champ d'application de cette directive, l'avis publié à cet effet doit comporter la mention du montant maximal en valeur ou en quantité que prévoit le pouvoir adjudicateur, cette indication pouvant figurer indifféremment dans l'avis de marché ou dans les documents contractuels mentionnés dans l'avis de marché et librement accessibles à toutes les personnes intéressées. Il n'en va différemment que pour les accords-cadres qui ne sont pas régis par cette directive, pour lesquels le décret du 23 août 2021, modifiant notamment les dispositions de l'article R. 2162-4 du code de la commande publique, a supprimé la possibilité de conclure un accord-cadre sans maximum, en différant, en son article 31, l'application de cette règle aux avis de marché publiés à compter du 1er janvier 2022 afin de ne pas porter une atteinte excessive aux intérêts privés et publics en cause ».
Et d’ajouter qu’« après avoir relevé, par une appréciation souveraine exempte de dénaturation, que ni l'avis de marché, ni le cahier des clauses techniques particulières, ni aucune autre pièce du marché ne mentionnait la quantité ou la valeur maximale des produits à fournir dans le cadre du lot n° 1 de l'accord-cadre en litige, qui relève du champ d'application de la directive du 26 février 2014 mentionnée ci-dessus, et, d'autre part, après avoir souverainement estimé qu'en l'espèce, l'absence de cette information n'avait pas mis la société Coved à même de présenter une offre adaptée aux prestations maximales auxquelles elle pourrait être amenée à répondre, le juge du référé précontractuel du tribunal administratif de Bordeaux n'a pas inexactement qualifié les faits soumis à son appréciation en jugeant que la communauté de communes Convergence Garonne avait manqué à ses obligations de publicité et de mise en concurrence et que la société Coved avait pu être lésée par ce manquement et était ainsi fondée à demander l'annulation de la procédure de passation du lot en litige ».
La lésion est donc clairement interprétée de manière souple puisque, rappelons-le, la société évincée était le précédent titulaire du marché (et donc le plus à même d’évaluer les quantités maximum du marché).
Cette solution est toutefois datée, dès lors que depuis le 1er janvier dernier, l’accord-cadre sans maximum est interdit.
publié le 31 janvier 2022
La méthode de notation « pouce levé / pouce baissé » n’est pas régulière
TA Toulon, ord.7 janvier 2022, Sté LA SIESTA, n°2103377
Les acheteurs publics font parfois preuve d’inventivité dans le choix de leur méthode de notation. En l’espèce, un peu à l’instar des empereurs romains, les offres étaient appréciées par des flèches, censées refléter leur qualité…
Sans grande surprise, le juge invalide une telle méthode : « il résulte de l’instruction que l’autorité délégante a matérialisé son appréciation des offres sur chaque critère par des flèches, flèche verte pointant vers le Nord, flèche orange pointant vers le Nord Est, flèche orange pointant vers le Sud Est et flèche rouge pointant vers le Sud. Une telle méthode qui limite la valorisation des offres à cette utilisation de signes sans autre affinement ou conversion en une note chiffrée, laisse une trop grande part à l’arbitraire et ne permet pas d’assurer l’égalité de traitement entre les candidats ».
Attention donc à ne pas, sous couvert de simplicité, tomber dans l’arbitraire.
pubklié le 26 janvier 2022
DSP : une même procédure, trois services délégués
TA Toulon, 7 janvier 2022, Sté Suez Eau, n°2103266
La DSP « multiservices » incluant plusieurs services distincts a été validée une première fois par le Conseil d’Etat en 2016, dans son arrêt Grand Dijon du 21 septembre 2016, qui considère qu’« aucune disposition législative ni aucun principe général n’impose à la collectivité publique qui entend confier à un opérateur économique la gestion de services dont elle a la responsabilité de conclure autant de conventions qu’il y a de services distincts. Elle ne saurait toutefois, sans méconnaître les impératifs de bonne administration ou les obligations générales de mise en concurrence qui s’imposent à elle, donner à une délégation un périmètre manifestement excessif ni réunir au sein de la même convention des services qui n’auraient manifestement aucun lien entre eux ».
Cette rège est régulièrement rappelée à l’occasion d’affaires jugées par des tribunaux administratifs, et toutes commentées sur ce site (TA Paris, ord. 22 août 2018, Sté Excelsis n°1813709, à propos d’une offre de restauration globale ; TA Rennes, ord. 1er octobre 2019, Sté STUG, n°1904494 pour une DSP de mobilité multimodale ; TA Nîmes, ord. 20 février 2019, Sté Aguas de Valencia, n°1900453, à propos des services de distribution d’eau potable, d’assainissement et de production de biogaz regroupés dans un même contrat ; TA Saint-Pierre et Miquelon, ord. 27 août 2020, Collectivité territoriale de Saint-Pierre et Miquelon, n°2000410 sur de la desserte en fret).
Le TA de Toulon nous en offre une nouvelle illustration, à propos d’une procédure ouverte de publicité et de mise en concurrence tendant à l’attribution d’une délégation de service public relative à l’exploitation du service public de l’eau potable, de l’assainissement collectif et de l’assainissement non collectif.
Le juge valide cette DSP multi-services en rappelant le considérant précité, et juge que le fait que trois contrats distincts soient ensuite signés ne change rien : « en premier lieu, il résulte de l’instruction et notamment du contenu des documents de la consultation en litige, que la commune a voulu conclure une concession multi services en confiant à un concessionnaire unique le service de l’eau et le service de l’assainissement. La circonstance que la concession des services d’eau et d’assainissement collectif et non collectif fassent l’objet de trois contrats distincts n’a eu aucune incidence sur le caractère global de la procédure et n’a eu aucun impact sur l’analyse globale des offres dès lors que les critères de jugements des offres étaient adaptés aux trois services ».
publié le 14 janvier 2022
Groupements de commandes entre acheteurs publics et privés : le Tribunal des conflits simplifie les règles de compétence
TC, 10 janvier 2022, n°C4230
Fournitures des rames du RER B : suite. En 2018, la RATP et SNCF mobilités constituent un groupement de commandes pour la fourniture des RER B. candidat évincé de la procédure, Alstom avait saisi le Tribunal judiciaire de Paris qui lui avait donné raison et la Cour de cassation, saisie, avait renvoyé le litige au tribunal des conflits. Elle estimait en effet qu’il existait une difficulté sérieuse sur la question de la compétence, le groupement de commandes étant constitué d’un acheteur public et d’un acheteur privé.
Le tribunal des conflits règle la question en jugeant que dès lors qu’un membre du groupement est une personne publique, alors c’est la juridiction administrative qui est compétente : « la passation et l'attribution des contrats passés en application du code de la commande publique sont susceptibles de donner lieu à une procédure de référé précontractuel qui, selon que le contrat revêtira un caractère administratif ou privé, doit être intentée devant le juge administratif ou devant le juge judiciaire. Il appartient au juge du référé précontractuel saisi de déterminer si, eu égard à la nature du contrat en cause, il l'a été à bon droit. […] Dans le cadre d'un groupement de commandes constitué entre des acheteurs publics et des acheteurs privés en vue de passer chacun un ou plusieurs marchés publics et confiant à l'un d'entre eux le soin de conduire la procédure de passation, et où, l'un des acheteurs membres du groupement étant une personne publique, le marché qu'il est susceptible de conclure sera un contrat administratif par application de l'article 3 de l'ordonnance du 23 juillet 2015, le juge du référé précontractuel compétent pour connaître de la procédure est le juge administratif, sans préjudice de la compétence du juge judiciaire pour connaître des litiges postérieurs à la conclusion de ceux de ces contrats qui revêtent un caractère de droit privé. Le groupement mentionné au point 1, constitué en vue de la passation d'un marché par chaque membre du groupement, confie au coordonnateur du groupement le soin " de coordonner et organiser la passation du contrat (...) ". La RATP, membre de ce groupement, est un établissement public et les marchés qu'elle est susceptible de conclure sont des contrats administratifs. Il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que le juge administratif est compétent pour connaître de la procédure de passation litigieuse ».
publié le 11 janvier 2022
Petit rappel : un référé contractuel contre un MAPA est (quasiment) voué à l’échec
TA Nancy, ord.5 janvier 2022, Sté SW Environnement, n°2103595
Pour ce premier commentaire de 2022, pas de grande nouveauté, mais un rappel utile. En l’état actuel du droit, il ne sert à rien d’introduire un référé contractuel à l’encontre d’un marché signé précipitamment et lancé sur la base d’une procédure adaptée. En effet, les cas d’ouverture d’un référé contractuel sont limitativement définis à l’article L.551-18 du CJA.
Et comme le rappelle le tribunal administratif dans cette ordonnance, « s’agissant des marchés passés selon une procédure adaptée, pour lesquels le pouvoir adjudicateur n’est pas soumis à l’obligation de communiquer la décision d’attribution du marché aux candidats non retenus, l’annulation d’un tel contrat ne peut, en principe, résulter que du constat des manquements mentionnés aux deux premiers alinéas de l’article L. 551-18, c’est-à-dire de l’absence des mesures de publicité requises pour sa passation ou de la méconnaissance des modalités de remise en concurrence prévues pour la passation des contrats fondés sur un accord-cadre ou un système d'acquisition dynamique. Le juge du référé contractuel doit également annuler un marché à procédure adaptée, sur le fondement des dispositions du troisième alinéa de l’article L. 551-18, ou prendre l’une des autres mesures mentionnées à l’article L. 551-20 dans l’hypothèse où, alors qu’un recours en référé précontractuel a été formé, le pouvoir adjudicateur ou l’entité adjudicatrice n’a pas respecté la suspension de signature du contrat prévue aux articles L.551-4 ou L.551-9 ou ne s’est pas conformé à la décision juridictionnelle rendue sur ce référé ».
En l’espèce, puisque ce MAPA avait fait l’objet d’une publicité, et qu’il a été signé avant l’introduction d’un référé précontractuel, le juge ne peut que rejeter le référé contractuel, tout en l’invitant à saisir le juge du fond : « Il suit de là que, si la société SW Environnement peut, si elle s’y croit fondée, invoquer devant le juge du contrat les manquements dont elle se prévaut, ceux-ci ne se rattachent à aucune des hypothèses dans lesquelles le juge du référé contractuel peut exercer son office. Par suite, sa demande tendant à ce que soit prononcée la suspension ou la nullité du marché en litige ne peut qu’être rejetée ».
Cette jurisprudence classique mais extrêmement stricte, mériterait clairement des aménagements dans la mesure où les MAPA représentent la très grande majorité des marché conclus et que le législateur confirme, réformes après réformes, qu’aucun délai de stand still ne s’y applique. Très concrètement un marché de travaux lancé en MAPA pour un montant de 5,3 millions d’euros HT peut donc être signé avant l’envoi des lettres de rejet, ce qui interdit aux candidats évincés de le contester via une procédure d’urgence (référé précontractuel ou contractuel). Reste donc seulement le recours au fond, dont on connaît toute l’efficacité…
publié le 10 janvier 2022